La grande rivière, un affluent majeur du fleuve Congo, est régulièrement en crue en saison des pluies mais, cette année, les inondations sont particulièrement catastrophiques et continuent depuis cinq mois dans cette Centrafrique enclavée au coeur du continent, affligée par une énième guerre civile depuis 2013 et parmi les pays les plus pauvres du monde.
Et les communautés qui vivent de la pêche en sont parmi les premières victimes.
Depuis 3h00 du matin, le jeune pêcheur de 29 ans ne cesse de jeter puis remonter énergiquement son filet en espérant quelques bonnes prises. Mais après plusieurs heures, seuls deux petits poissons rouges se sont perdus dans les mailles. Un maigre butin.
« C’est une période où tous les pêcheurs galèrent », assène-t-il en fixant l’horizon, dépité. Avec la saison des pluies et les inondations, « il y a une pression d’eau très forte qui fait fuir les poissons des zones de pêche habituelles. Ils vont se cacher sous les racines des arbres, là où il y a moins de pression mais on ne peut pas y aller », explique Pacôme.
« Avant, je pouvais avoir 180.000 francs CFA (environ 275 euros) par jour, maintenant même gagner 10.000 francs CFA (15 euros) est une grâce », explique ce père de famille qui préside à Bangui l’association des pêcheurs, mareyeurs et mareyeuses pour le développement, Un pour tous.
Au loin, les silhouettes d’un groupe de pêcheurs se détachent de l’épaisse brume alors qu’ils s’affairent à démêler leur interminable filet de 300 mètres de long avant de le jeter dans les eaux. En vain.
– « Une loterie » –
A cette pénurie de poissons, s’ajoute celle du matériel de pêche. Les bobines de fils pour fabriquer les filets, qui proviennent généralement d’Europe, du Cameroun et du Nigeria, sont difficiles à trouver en raison de problèmes d’approvisionnement.
« La pêche, c’est comme la loterie aujourd’hui, tu peux gagner un jour et le lendemain, tu perds », assène Edouard Franck, devenu gardien de pirogue après avoir arrêté la pêche faute de pouvoir s’acheter un nouveau filet. « Je n’ai plus les moyens. Pour un filet de pêche, il faut au minimum 50.000 francs CFA (75 euros) ».
Carpes, capitaines, anguilles… Sur les étals du marché aux poissons de Ouangon, un quartier de pêcheurs proche de la rivière, ces espèces présentes habituellement à foison se réduisent comme peau de chagrin.
Faute de poissons, les vendeuses chantent et dansent en tapant sur les tables vides pour attirer l’attention des clients, espérant écouler leur maigre marchandise.
« En période normale je peux faire une recette de 150.000 francs CFA (228 euros) par jour, mais actuellement, je n’arrive même pas à faire rien que 10.000 », souffle Nina-Marie Zougouroupou, 28 ans, mareyeuse au port de pêcheurs de Nguito dans le 7e arrondissement de la capitale.
« C’est difficile pour nous actuellement, vous voyez sur cette table, j’ai qu’un poisson de 15.000 francs CFA et le reste est pour mes voisines, comme on n’en a pas assez, on rassemble tout sur une table », explique Éveline Binguimale.
– Double du prix –
Conséquences, le prix du poisson, habituellement bon marché et très consommé par les Centrafricains, notamment pour les fêtes ou réception, a plus que doublé.
« On n’arrive plus à manger les poissons comme on veut, ceux qu’on achetait à 2.000 francs CFA sont à 5.000 aujourd’hui », se lamente Sandra Liki, errant entre les étals, à la recherche de poisson pour nourrir sa famille.
En 2020, la production de pêche en Centrafrique s’élevait à environ 29.000 tonnes, selon la Banque mondiale.
Depuis juin, les inondations ont affecté près de 85.000 personnes, dans 12 des 17 préfectures du pays, selon l’ONU. La préfecture de Vakaga dans le nord, a été la plus touchée avec 24.000 sinistrés suivie de la capitale Bangui avec plus de 20.000 sinistrés.
En Centrafrique, la Banque mondiale estime que 71% des quelque 6 millions d’habitants vit au-dessous du seul international de pauvreté (moins de 2,15 euros par jour par personne). Près de la moitié souffre de l’insécurité alimentaire et dépend de l’aide humanitaire internationale, selon l’ONU.
Ces inondations sont régulières. Mais la dernière d’une ampleur similaire remonte à 2019, quand au moins « 100.000 personnes ont vu leurs maisons inondées et détruites », d’après les Nations unies.