Cette annonce a pris tout le monde par surprise car Altice avait plusieurs fois démenti les rumeurs de vente de sa branche médias, récurrentes ces derniers mois.
Elle fait franchir une marche à l’ambitieux Franco-Libanais Rodolphe Saadé et CMA CGM, qui bâtissent un empire médiatique alors qu’ils n’ont mis le pied dans le secteur qu’en 2022.
Enrichi par la désorganisation des chaînes logistiques provoquée par la pandémie de Covid-19, le puissant armateur basé à Marseille détient déjà le journal La Tribune et le groupe La Provence (quotidiens régionaux La Provence et Corse Matin). Il a aussi des participations dans le groupe audiovisuel M6 et le média vidéo en ligne Brut.
« Le groupe CMA CGM a signé ce jour une promesse d’achat avec le groupe Altice France en vue de l’acquisition de 100% du capital d’Altice Media », a indiqué l’acquéreur dans un communiqué.
La transaction, 1,55 milliard d’euros en numéraire, « devrait être finalisée au cours de l’été », selon Altice.
CMA CGM prendra 80% d’Altice Media, les 20% restants allant à la holding de M. Saadé, Merit France.
– « Désendettement » –
« Cette cession s’inscrit dans la stratégie de désendettement » d’Altice, explique à l’AFP Franck Abihssira, du cabinet de conseil Emerton.
Le groupe de M. Drahi a commencé à vendre des actifs pour alléger sa dette colossale, estimée à près de 60 milliards d’euros. Il conserve ses autres activités, l’opérateur télécoms SFR et de plus petites entreprises dans les technologies et télécoms.
M. Abihssira juge « rassurant » pour BFMTV et RMC d’avoir M. Saadé comme acheteur, car son « groupe a engrangé un trésor de guerre qui lui permet de développer » ces médias.
Pour les syndicats CGT et SNJ (Syndicat national des journalistes) d’Altice Media, « beaucoup de questions restent en suspens en attendant un CSE (comité social et économique, NDLR) extraordinaire la semaine prochaine en présence du futur actionnaire ».
Ils exigent « des engagements très fermes », notamment sur « le maintien des effectifs » et « le respect des termes d’une clause de cession ».
« On espère que la liberté éditoriale et les moyens de la rédaction resteront a minima les mêmes, voire s’amélioreront », a pour sa part déclaré à l’AFP François Pitrel, membre de la Société des journalistes (SDJ) de BFMTV.
Dirigée par Marc-Olivier Fogiel, la chaîne est leader de l’information continue en France, talonnée par CNews, filiale de Vivendi, le groupe du milliardaire Vincent Bolloré. Outre cette rivalité d’audience, BFMTV vit une période agitée.
En décembre, sa recrue star Laurent Ruquier a arrêté son émission quotidienne d’actualité, au bout de trois mois seulement.
Avant lui, BFMTV avait perdu plusieurs de ses vedettes: Bruce Toussaint (qui anime depuis janvier la nouvelle matinale de TF1), Aurélie Casse (partie à France 5) et Jean-Baptiste Boursier (recruté par LCI, la chaîne info de TF1).
– « Trahi » –
La vente de BFMTV intervient alors que de nombreuses fréquences de la télévision numérique terrestre (TNT), dont la sienne, seront renouvelées en 2025. Or, en vertu de la loi, Altice n’aurait pas le droit de vendre la chaîne dans les cinq ans suivant le renouvellement de son autorisation de fréquence.
Pour sa part, RMC, qui est très axée sur le sport, est la troisième radio de France.
Selon un message interne du PDG d’Altice France, Arthur Dreyfuss, le « management » d’Altice Media va rester en place après le rachat par CMA CGM.
Altice Media, qui s’appelait NextRadioTV jusqu’en 2021, a été progressivement cédé à Patrick Drahi par Alain Weill à partir de 2015. L’entité comprend aussi les chaînes de la TNT RMC Découverte et RMC Story.
Altice est ébranlé depuis plusieurs mois par un scandale de corruption, qui implique Armando Pereira, dirigeant de la filiale portugaise et cofondateur du groupe.
Mis en examen au Portugal, il conteste les accusations. Une enquête a également été ouverte en France en septembre par le parquet national financier.
Début août, dans une rare prise de parole, M. Drahi s’était dit « trahi et trompé par un petit groupe d’individus ».
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