En Inde, le commerce du poisson hilsa victime de la crise politique au Bangladesh

Calcutta, 24 sept 2024 (AFP) – C’est l’inattendue retombée halieutique de la révolution qui a secoué le Bangladesh: Dacca a suspendu l’exportation des poissons hilsa, au point que dans le port de la mégapole indienne de Calcutta (nord-est), leurs paniers s’arrachent à prix d’or.

Tout autour du golfe du Bengale, ce petit poisson proche du hareng, de couleur argenté et de la taille d’une main, ne relève pas du menu fretin.

Très prisé pour le goût de sa chair blanche et sa texture uniques, le hilsa a été élevé au rang de « poisson national » au Bangladesh. Cuit à la vapeur, frit ou mijoté dans un curry épicé, il fait aussi les délices des gourmets de l’Inde voisine.

« Je ne pourrais pas vous le décrire par des mots », résume Mohammed Zeeshan, 29 ans, poissonnier de Calcutta. « Il faut le goûter pour comprendre pourquoi il est si recherché. »

Non content de sa gloire gastronomique, le hilsa est aussi célébré lors de fêtes religieuses, notamment celle qui honore la déesse hindoue Durga en octobre.

Véritable star, il inspire la poésie ou la littérature. Et les journaux de Calcutta ne manquent pas de publier en une les photos des premières prises du poisson-roi à l’aube de chaque saison de pêche…

Pour satisfaire une demande devenue insatiable, les pêcheurs indiens ratissent avec application le delta du Gange. Mais le pays le plus peuplé de la planète est contraint malgré ses efforts d’en importer une large part du Bangladesh.

– Gel de la « diplomatie du hilsa » –

Elevée au rang d’industrie, la pêche du hilsa nourrit de l’autre côté de la frontière des millions de familles bangladaises. Elle n’a cessé de se développer au fil des ans, au point de menacer sérieusement la survie de l’espèce.

Le Bangladesh s’est donc résolu à en restreindre sévèrement la vente à l’étranger.

Pour jouer de son influence dans la région, l’ex-Première ministre bangladaise Sheikh Hasina ouvrait toutefois le robinet des exportations de hilsa à la veille des festivités de Durga Puja.

Et elle n’oubliait jamais d’en offrir à chacun de ses déplacements en Inde.

Mais la chute de l’autocrate, chassée du pouvoir en août après des semaines de manifestations meurtrières, a changé la donne.

Son exil en Inde a nettement refroidi les relations entre les deux pays. Début septembre, le Bangladesh, qui requiert son extradition, a interdit les exportations du hilsa, officiellement pour préserver les stocks.

La « diplomatie du hilsa est gelée », a constaté le quotidien Times of India.

Dacca a quand même fait un geste en autorisant la livraison de 3.000 tonnes – près d’un millier de moins que l’an dernier – avant Durga Puja.

Mais pas de quoi remplir les étals des poissonniers indiens. Ni de faire baisser les prix.

Depuis la fuite en exil de Sheikh Hasina, ils ont augmenté d’un tiers. De 1.300 roupies (14 euros) le kilo à 1.800 roupies (19 euros), soit l’équivalent de deux à trois jours du salaire indien moyen.

« L’impact de l’interdiction sur le commerce est énorme », déplore Mohammed Zeeshan. « L’offre a diminué, les prix ont monté et les ventes ont reculé », poursuit-il, « seuls les plus riches ont désormais les moyens de s’en offrir ».

– Des prix dissuasifs –

A 100 km plus au sud, dans le port de Namkhana, Anath Das partage la même inquiétude.

« Les gens vont avoir du mal à en acheter », anticipe ce pêcheur de 52 ans, qui confie ne plus avoir lui-même les moyens de s’en offrir.

La situation est grave pour l’association des importateurs de poissons de l’Etat indien du Bengale occidental, qui a adressé un courrier officiel à Dacca pour demander la levée des restrictions aux exportations.

Le secrétaire de l’organisation, Syed Anwar Maqsood, confie que certains de ses membres ont déjà discrètement ouvert des « voies d’approvisionnement » alternatives passant « par la Birmanie » pour contourner l’embargo.

La police aux frontières indienne confirme avoir stoppé « de nombreuses tentatives » d’importation de hilsa en contrebande.

La décision du Bangladesh ne semble finalement avoir fait le bonheur que de ses seuls vendeurs et des consommateurs nationaux.

Sur les étals du Kawran Bazar de la capitale Dacca, le hilsa s’achète entre 2.000 et 2.200 takas (de 15 à 16,50 euros) le kilo.

Pour le plus grand profit de Mofiz Rana, qui en vend depuis dix ans. « Si les exportations vers l’Inde avaient été maintenues cette année », note-t-il, « le prix aurait été substantiellement supérieur ».

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