En Somalie, des marins otages de pirates et oubliés de tous

Selon des données d’Eunavfor, la flotte européenne déployée au large des côtes somaliennes pour lutter contre la piraterie, au moins 54 marins et pêcheurs sont actuellement retenus en otage. La plupart sont issus de familles pauvres d’Asie et détenus dans de sordides conditions depuis parfois plus de deux ans.

La moitié d’entre eux ont été littéralement abandonnés par les propriétaires de leurs bateaux quand ceux-ci ont sombré, à l’instar du porte-conteneur sous pavillon malaisien MV Albedo.

« Maintenant que le navire a coulé, le propriétaire n’a plus aucun intérêt à payer la rançon et sauver l’équipage, » ont écrit les familles des marins dans une lettre adressée aux pirates après le naufrage.

Parmi l’équipage de l’Albedo se trouvent des Bangladais, des Sri Lankais, des Indiens et des Iraniens. Les autres marins ou pêcheurs encore otages viennent essentiellement d’Asie du Sud-Est — Cambodge, Thaïlande, Philippines ou Vietnam.

L’équipage de l’Albedo est retenu en otage depuis novembre 2010. Quand le navire a sombré en juillet, les marins ont été transférés sur un autre vieux rafiot aux mains de pirates: le Naham 3, un bateau de pêche sous pavillon omanais, dont le propriétaire est taïwanais.

Le Naham 3 risquant très vite de connaître le même sort que le MV Albedo – il est relié à la partie émergée de l’épave du navire naufragé et menace de couler d’un moment à l’autre – certains pensent qu’une partie au moins des otages a été emmenée à terre. Mais leurs familles n’en restent pas moins inquiètes.

« Nous en avons appelé à tout le monde sur cette terre pour que quelqu’un paie l’argent de la libération de nos proches, mais personne n’a écouté, » ont ajouté les familles dans leur lettre. « Nous sommes de très pauvres gens, nous n’avons même pas de quoi nous payer des médicaments, des frais scolaires ou acheter de la nourriture pour nos enfants. »

Laissés pour compte

Aux larges des côtes somaliennes, la fréquences des attaques de pirates a chuté ces deux dernières années, à la faveur des patrouilles anti-pirateries déployées par la communauté internationale.

En janvier 2011, les pirates somaliens détenaient encore 736 otages et 32 bateaux. Aujourd’hui, le Naham est le dernier navire d’importance encore retenu au large de la localité d’Hobyo, au centre de la côte somalienne.

Les otages « sont des gens pauvres, issus de familles pauvres, » relaie John Steed, qui dirige le Secrétariat pour la sécurité maritime régionale, un organisme de liaison entre les ravisseurs et la communauté internationale qui, pour nombre d’otages, constitue le dernier espoir. Le Secrétariat est le seul à encore tenter de convaincre les pirates de les libérer et à faire le liens avec les familles.

« Nous espérons et tentons notre possible », ajoute M. Steed, ancien colonnel de l’armée britannique.

Les otages rapportent gros aux pirates, véritables hommes d’affaires uniquement motivés par l’appât du gain: l’an dernier, ils auraient extorqué plus de 31 millions de dollars (24 millions d’euros) de rançons, selon un rapport publié en juillet par le Groupe de surveillance de l’ONU sur la Somalie.

Mi-juillet, deux employées espagnoles de l’ONG Médecins sans frontières (MSF), kidnappées en octobre 2011 au Kenya avant d’être emmenées en Somalie et, selon plusieurs sources, revendues à des gangs de pirates dans la région d’Hobyo, ont été remises en liberté dans des circontstances non révélées.

Des forces spéciales étrangères ont également lancé des raids pour sauver leurs ressortissants. Un commando américain a notamment libéré trois travailleurs humanitaires retenus pendant trois mois en 2012.

Mi-juillet, Eunavfor a diffusé des photos du Naham 3. On y voit des pirates viser de leurs fusils l’hélicoptère de la force navale. Eunavfor a reconnu qu’une intervention était trop risquée et n’avoir vu aucun otage.

« Nous gardons une distance de sécurité et nous surveillons la situation de près », a commenté une porte-parole d’Eunavfor, Jacqueline Sherriff. « Les pirates se sont montrés violents (…) le pire des scénario serait qu’ils s’agitent et ouvrent le feu. »

Les familles des otages retenus seraient elles bien en peine de récolter les rançons exigées pour la libération de leurs proches. Aussi n’ont-elles plus pour solution que d’en appeler à l’humanité de ces pirates musulmans.

« Qu’est-ce que vous allez dire à Allah? Il vous punira pour avoir ôté la vie à des gens innocents, » ont-elles écrit. « Relâchez-les au moins pour des raisons humanitaires, ils risquent de mourir entre vos mains. »

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