Ces dernières années, les cales des bateaux sont loin de revenir pleines. La troisième plus importante réserve d’eau douce du continent africain subit les effets du changement climatique et de la surpêche, dévastateurs pour l’économie locale.
Ce jour-là ne déroge pas à la règle.
« On espérait que le bateau serait rempli au moins à moitié, au pire au quart… mais j’ai bien peur qu’on soit encore en-dessous de ça », constate le responsable du port, Alfred Banda, en jetant un oeil désabusé au maigre butin qui vient d’arriver.
« Avant, on ramenait des bateaux pleins », ajoute-t-il. « Aujourd’hui, il faut se battre pour remplir les cales au quart. »
Au croisement du Malawi, de la Tanzanie et du Mozambique, les 29.000 km2 du lac Malawi et son millier d’espèces de poissons répertoriées assurent depuis des lustres l’essentiel du régime alimentaire et des revenus des quelque 450.000 habitants de la région de Senga Bay.
Mais depuis peu, cet équilibre est menacé. Les pêcheurs accusent sans hésiter la hausse générale des températures, qui a bouleversé leur activité.
Dans un récent rapport, la Banque mondiale a rangé le Malawi parmi les dix pays de la planète les plus menacés par le changement climatique. L’institution y prédit un accroissement inquiétant des cyclones et des inondations.
Illustration par l’exemple, le sud du pays a été noyé il y a quatre mois sous des trombes d’eau à cause d’un système dépressionnaire lié au cyclone Idai, qui a fait plus d’un millier de morts au Mozambique et au Zimbabwe voisins.
Le bilan a été moins sévère au Malawi, mais il s’est quand même soldé par 59 morts et des dizaines de milliers de déplacés.
– « Pas d’alternative » –
« La réalité du changement climatique ne fait aucun doute. Au Malawi, ça se traduit par des événements météo plus violents et plus fréquents qui impactent à long terme les écosystèmes, dont les lacs et les ressources halieutiques », confirme le scientifique malawite Sosten Chiotha.
Le chef du village de Senga Bay, John White Said, constate les dégâts. « Nos hommes ramènent moins de poissons à cause du vent, qui est bien plus fort qu’auparavant », explique-t-il doctement. « Il y a aussi les pluies, bien plus puissantes qu’avant, qui détruisent tout et affectent aussi, à mon avis, la qualité de l’eau. »
Mais la crise climatique n’est pas seule en cause. « La baisse des captures de poissons est principalement due à des pratiques de pêche non durables », indique le Pr Chiotha.
Le chef Said le reconnaît, le nombre de pêcheurs a doublé ces dix dernières années sur le lac Malawi. « Pour l’économie de Senga Bay, il n’y a pas d’alternative à la pêche », justifie-t-il.
Marié et père de six enfants, Salim Jackson, 38 ans, en a fait sa principale source de revenus. Il loue ses deux bateaux, baptisés « Essaie encore », aux pêcheurs et se paie en récupérant la moitié de leurs prises. Plutôt bien, reconnaît-il.
– « Plus rare et plus cher » –
« J’ai commencé à pêcher il y a treize ans parce que je n’avais pas d’autre choix. Je ne suis jamais allé à l’école », explique l’entrepreneur. « Mais regardez où j’en suis maintenant, cela me rapporte pas mal d’argent. »
Lovemore Timambaya s’est fait lui aussi une place au soleil de l’économie locale en fabriquant des chaloupes de 7 m de long qu’il dit vendre comme des petits pains.
« La demande de bateaux n’a fait qu’augmenter depuis 2012 car de plus en plus de jeunes se lancent dans la pêche », se félicite le fabricant.
Mais sa prospérité fait figure d’exception.
« Aujourd’hui le poisson est plus cher parce qu’il est plus rare », note une des « grossistes » de Senga Bay, Katrina Male.
Elle assure tirer de ses activités encore assez de bénéfices pour payer les frais de scolarité de ses six enfants, mais nombre de ses concurrentes ont dû jeter l’éponge.
« Des enfants ont moins de chance que les miens, ils ont arrêté l’école parce que leurs parents n’en ont plus les moyens », constate Katrina Male.
Le chef Said s’inquiète désormais ouvertement de l’avenir de la région.
« La baisse du nombre de poissons me préoccupe car au Malawi la plupart des gens dépendent de la pêche pour vivre et se nourrir », dit-il. « Au fil du temps, les hommes vont devoir aller jeter leurs filets de plus en plus loin des côtes et ça va leur coûter de plus en plus cher en carburant. »