Le ministre russe des Affaires étrangères est annoncé pour deux jours au Forum diplomatique d’Antalya (sud), un rendez-vous annuel de la diplomatie turque avec les pays amis: il doit y rencontrer son homologue Hakan Fidan et s’entretiendra probablement avec le chef de l’Etat turc, comme au cours de ses visites à Ankara.
Depuis le début de l’invasion russe de l’Ukraine en février 2022, la Turquie a veillé à garder le lien avec les deux parties en conflit.
Avec la Hongrie, elle « demeure l’un des derniers pays de l’Alliance atlantique à maintenir le dialogue avec Moscou », relève Sinan Ülgen, le directeur du groupe de réflexion Edam à Istanbul.
« Dans un contexte géopolitique modifié par la guerre, elle fait attention à garder ce rôle pour l’avenir, espérant capitaliser dessus au moment de possibles pourparlers de paix », ajoute-t-il.
C’est ainsi, selon lui, qu’il faut comprendre l’annonce mercredi de M. Erdogan concernant la recherche avec les Nations unies d’un nouveau mécanisme de sécurité en mer Noire, dont la Turquie longe la partie méridionale, quand les deux belligérants se trouvent au nord.
« Il nous faut une régulation qui garantisse la navigation sécurisée des bâtiments de commerce en mer Noire », a déclaré le chef de l’Etat dans un message vidéo adressé au sommet de dirigeants d’Europe du sud-est en Albanie, en présence du président ukrainien Volodymyr Zelensky.
« Dans ce but, nous poursuivons nos contacts », a-t-il ajouté sans autres précisions.
– Céréales en mer Noire –
La Turquie s’était beaucoup impliquée dans l’établissement d’un corridor sécurisé en mer Noire associant l’Ukraine et la Russie sous l’égide de l’ONU. Un accord à ce sujet avait été signé en juillet 2022 à Istanbul, puis dénoncé un an plus tard par Moscou.
Il avait permis à l’Ukraine d’exporter près de 33 millions de tonnes de céréales, selon les Nations unies, tandis que la Russie déplorait les obstacles mis à ses propres exportations agricoles.
M. Erdogan avait alors appelé à ne pas « marginaliser la Russie », sans laquelle aucun accord sur la navigation en mer Noire ne saurait être « viable ».
Depuis, Kiev utilise avec succès une voie alternative longeant les côtes de la Bulgarie et de la Roumanie, membres de l’Alliance atlantique, avec lesquelles Ankara a signé en janvier un accord de lutte contre les mines.
La Turquie, qui reste très dépendante de la Russie pour ses approvisionnements énergétiques, ne s’est pas associée aux sanctions occidentales à son encontre et se voit régulièrement accusée d’aider à leur contournement.
Seize entités turques sont ainsi désignées dans le dernier train de sanctions annoncé la semaine dernière par la Maison Blanche.
Il s’agit en particulier d’entreprises important, pour les réexporter, du matériel contenant des pièces nécessaires à l’industrie militaire russe.
« Vu l’accroissement important du commerce entre la Turquie et la Russie (…), il y a en effet des investigations » sur un contournement des sanctions occidentales par la Russie, confirme Marc Pierini, chercheur associé à l’Institut Carnegie Europe.
Ce dernier souligne aussi « l’intérêt très prononcé de la Russie » pour le secteur énergétique turc avec « la centrale nucléaire d’Akkuyu (sud), les rabais sur le prix du gaz russe et des paiements en roubles, la promotion d’un hub gazier » et l’annonce par Rosatom, le géant russe du nucléaire, de la construction d’une deuxième centrale en Turquie et son intérêt pour une troisième.
« La Turquie essaie de mener une politique prudente, poursuivant ses relations commerciales avec la Russie tout en veillant à ne pas franchir une ligne rouge qui l’exposerait à des mesures de rétorsion de la part des Occidentaux », résume Sinan Ülgen.
Le Forum d’Antalya, une grande station balnéaire de la côte sud de la Turquie, réunit chaque année des chefs d’Etat et de gouvernement, des ministres, des diplomates, des hommes d’affaires et des chercheurs.