Nicaragua: le projet pharaonique de canal interocéanique largement contesté

Le Congrès a approuvé jeudi l’octroi d’une concession à l’entreprise HK Nicaragua Canal Development Investment Co. (HKDN), une entité créée en 2012 à Hong Kong par l’avocat Wang Jing, qui a dans la foulée ouvert une filiale aux îles Caïman. La signature de l’accord de concession est intervenu vendredi.

S’il s’agit selon le gouvernement de l’ancien guérillero Daniel Ortega de « sortir le pays de la pauvreté » en atteignant une croissance de 15% du Produit intérieur brut dès la deuxième année d’exploitation, l’opposition dénonce « la plus grande arnaque de (…) toute l’histoire » du Nicaragua et les écologistes évoquent eux « le plus grande menace sur l’environnement du pays ».

Il est vrai que le texte adopté jeudi par les élus du Front sandiniste de libération nationale (FSLN, gauche, au pouvoir) octroie de larges pouvoirs au concessionnaire, déjà connu dans le pays pour avoir obtenu en 2012 une concession pour installer un réseau de téléphonie mobile dont les travaux n’ont toujours pas débuté.

La loi accorde à l’entreprise les pleins pouvoirs sur les tarifs du futur canal, l’autorise à exproprier n’importe quel terrain ou d’utiliser et dévier à sa guise tout cours d’eau qu’elle jugera nécessaire à sa réalisation en même temps qu’elle oblige l’Etat nicaraguayen à renoncer à toute immunité en cas de différend avec les entreprises concernées qui sont elles protégées de toute sanction « en cas de non-respect des obligations ».

Le projet envisage la construction d’un canal humide, de ports en eaux profondes, d’un aéroport, d’un oléoduc et d’une ligne de chemin de fer ainsi que d’une zone franche et selon le président Ortega, la mise en chantier pourrait intervenir en 2014, après réalisation des études de faisabilité.

La concession court sur 50 ans renouvelables, plus 10 ans pour réaliser les travaux.

Il semblerait « que le président soit devenu fou », a commenté le député dissident du sandinisme Victor Tinoco, pour qui cette affaire n’est ni plus moins qu’une « association cachée entre (l’avocat) Wang (Jing) et (le président Daniel) Ortega » pour « s’enrichir fabuleusement ».

« Cette loi est inconstitutionnelle, frauduleuse et brade les intérêts (du pays). Nous offrons notre territoire complet à une entreprise étrangère qui peut le vendre ou le louer en morceaux », a dénoncé de son côté le dirigeant de l’opposition, Eduardo Montealegre.

M. Wang aura « tous les pouvoirs pour exproprier, confisquer, étendre, draguer et dévier les cours d’eau » au Nicaragua, a-t-il dénoncé.

Le patronat nicaraguayen a de son côté annoncé le dépôt d’un recours contre cette loi.

« Les ressources naturelles mises en péril par la construction du canal représentent un coût élevé » et ce projet constitue « la plus grande menace » pour les écosystèmes du pays, a mis en garde pour sa part l’Alliance nicaraguayenne contre le changement climatique, groupement de diverses ONG de protection de l’environnement.

Répondant aux critiques sur le manque d’expérience de l’avocat chinois en matière de travaux de grande envergure, son porte-parole au Nicaragua, le Bolivien Ronald MacLean, l’a comparé jeudi au directeur technique « d’une équipe de football qui peut être très bon sans avoir été lui-même footballeur ».

Ce canal entre océans Atlantique et Pacifique, pour lequel aucun tracé n’a été décidé mais qui passerait par le lac du Nicaragua (sud), se situerait à moins de 600 kilomètres au nord du canal de Panama, par lequel transite 5% du commerce mondial, et qui fait actuellement l’objet de pharaoniques travaux d’élargissement.

Peuplé de 5,8 millions d’habitants et deuxième pays le plus pauvre d’Amérique latine derrière Haïti, le Nicaragua a enregistré en 2011 selon la Banque mondiale un PIB de 9 milliard de dollars.

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