Nigeria: un raid de pirates « comme dans les films » de pieds nickelés (marin français)

Au consulat de France de Lagos, dans l’attente de son vol pour Paris, Benjamin Elman, 38 ans, relate l’attaque des pirates nigérians qui se sont emparés du MT Adour, tanker battant pavillon français, alors qu’il était au mouillage à Lomé dans l’attente d’une cargaison, dans la nuit de mercredi à jeudi.

« J’ai entendu la diffusion générale qui disait de monter à la passerelle, je crois qu’il était deux heures du matin. Tout le monde était allongé par terre, et il y avait quatre ou cinq costauds avec des kalachnikov », raconte le marin aux traits tirés. Les pirates donnent alors l’ordre de rejoindre d’autres hommes postés sur une embarcation au large.

« Ils voulaient de la cargaison. Manque de bol, il n’y en avait pas ». Le tanker devient alors « ce qu’on appelle dans le jargon un +mother vessel+: un navire qui sert à chercher d’autres navires », explique le Français.

Navigant dans la baie du Bénin, « on a fait route doucement, on essayait de trouver des navires à la dérive, faciles à attaquer… Ils (les pirates, ndlr) nous ont même fait fabriquer des échelles et des crochets, comme dans les films », raconte Benjamin Elman.

Les ravisseurs « n’étaient pas là pour nuire (à l’équipage). Mais on avait le sentiment qu’ils étaient imprévisibles, (…) désorganisés ».

« On arrivait à avoir des échanges, mais quand ils sentaient qu’ils perdaient un peu trop le contrôle, ou peut-être que trop d’affectif revenait, ils nous terrorisaient un petit peu pour qu’on se calme ».

Au bout de deux jours, « ils en ont eu marre, ils nous ont demandé de les déposer sur la côte nigériane pour pouvoir rentrer et nous laisser partir »…

Poursuivis par un bateau de la Marine nigériane puis repérés par un avion français les survolant, les pirates prennent peur. Ayant perdu leur embarcation entre temps, ils décident de réquisitionner deux Français chargés de les ramener à terre. Benjamin Elman est l’un d’eux: il se retrouve à conduire un bateau fermé, difficile à manier, dans le noir complet, avec pour ordre de n’allumer aucun feu, et finit par s’échouer avec les pirates sur un banc de sable.

Le lendemain, un homme les ramène à terre, en barque, dans la région pétrolifère du Delta du Niger, au sud du Nigeria. « Ils m’ont caché dans un petit villages de pêcheurs. Il y a eu beaucoup, beaucoup de palabres, jusqu’à ce que leur intention soit vraiment de me relâcher », se souvient-il.

Dans la nuit de lundi à mardi, M. Elman a été longuement interrogé par les chefs du village. Jusqu’au dénouement: au petit matin, les pirates avaient disparu et l’armée nigériane l’a secouru.

Quant au second Français réquisitionné par les pirates, « il est reparti vers le large où il a été récupéré par la frégate Latouche-Tréville ».

Ce bâtiment de la Marine française participe à l’opération Corymbe, qui maintient une surveillance maritime dans le Golfe de Guinée, pour empêcher notamment les attaques de navires marchands menées par des pirates.

Le nombre d’attaques dans le Golfe de Guinée, qui comprend le Nigeria, le Bénin et le Togo, est passé de 39 en 2010 à 62 en 2012, a comptabilisé le centre de réflexion britannique Chatham House.

Et selon un récent rapport du Bureau maritime international (BMI), il y a eu plus d’attaques de navires dans le golfe de Guinée qu’au large des côtes somaliennes l’an dernier.

Premier producteur de pétrole d’Afrique, avec environ deux millions de barils par jour, le Nigeria a été le premier pays de la zone à subir de nombreuses attaques de pirates au large de ses côtes.

Dans le cas du MT Adour, comme pour la plupart des actes de piraterie dans cette région,  » ce qui les intéressait, c’était les produits pétroliers: gasoil, essence… » ensuite revendus au marché noir.

« J’ai l’impression d’avoir tourné dans un film réalisé par des pieds nickelés… Un drame qui a viré en comédie dramatique. C’est surréaliste », dit le marin français, encore un peu sous le choc.

Benjamin Elman doit prendre un vol régulier pour le France jeudi soir. Il rêve d’un « long break » avant de décider ce qu’il fera par la suite.

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