« Pour faire du sel, il faut du vent, le soleil, la chaleur et de l’eau de mer, donc tous les éléments sont là pour qu’on puisse continuer », poursuit M. Rivalant, pieds nus et chemise blanche devant ses monticules de sel ramassés à la brouette.
« Tant qu’on produit, on est content. Après, physiquement et mentalement, ça peut être des fois un peu compliqué », tempère le paludier qui protège ses yeux bleus derrière d’épaisses lunettes noires et travaille de l’aube au couchant depuis plusieurs mois.
Pour son confrère Laurent Boulo, membre de la coopérative « Le Guérandais », l’été 2022 s’apparente à un « marathon dont on ne voit pas la ligne d’arrivée ».
Les vagues de canicule ont permis aux paludiers (producteurs installés au nord de la Loire) et aux sauniers (au sud) de produire beaucoup de sel depuis le printemps dernier, mais l’absence de précipitations les épuisent, car c’est pendant les jours de pluie estivale qu’ils ont la possibilité de se reposer.
La météo actuelle « qui peut faire le malheur des uns, ou de beaucoup, fait le bonheur d’une filière conditionnée par les éléments naturels », reconnaît Laurent Boulo, espérant malgré tout l’arrivée de la pluie pour avoir du répit après avoir « perdu 5 kilos » à force de travail physique depuis le début de la saison.
Si les paludiers sont fatigués, ils sont aussi rassurés de savoir que leur production est garantie pour l’année et qu’ils peuvent stocker des quantités de sel pour compenser d’éventuelles mauvaises récoltes, en cas de météo défavorable en 2023 ou 2024.
– « Jamais sûr de l’avenir » –
Le métier de paludier, qui consiste à produire manuellement du gros sel et la très raffinée fleur de sel, selon des techniques ancestrales, est extrêmement dépendant du climat.
Ainsi dans la mémoire locale, on se souvient de l’année 1976 qui a été très bonne.
A l’inverse, les « années 1980 » ont été toutes mauvaises jusqu’à la bonne récolte de 1989 et par conséquent, « j’ai toujours entendu les anciens dire +le sel, il faut le récolter tant qu’il se donne, parce qu’on n’est jamais sûr de l’avenir », explique Elodie Rio, onzième génération de paludiers installés à Batz-sur-Mer et PDG de la société Tradysel.
« En moyenne, on serait à un peu plus de 2,5 tonnes » en 2022 contre « 1,8 tonne environ » en 2021, estime Mme Rio, en référence à la quantité de sel produite par « oeillets », ces rectangles au bord desquels est amassé le sel à l’aide de l’emblématique râteau sans dents baptisé « las du paludier ».
Après la récolte, le sel de Guérande est transporté par tracteur jusqu’aux lieux de stockage où il est pesé et donc, « l’année, on ne va pouvoir la juger qu’à la fin de la saison », prévient Elodie Rio.
Malgré l’incertitude sur le poids exact de sel déjà ramassé, les professionnels s’accordent à dire qu’ils produiront en 2022 le double de ce qu’ils avaient produit en 2021.
Laurent Boulo pense ainsi qu’il « s’achemine tout droit vers trois saisons en une, et trois récoltes en une ».
« La difficulté, c’est de pouvoir être endurant et de pouvoir continuer le plus longtemps possible, sans se blesser, sans que nos saisonniers se blessent aussi », résume Erwan Rivalant à propos de la saison qui pourrait durer jusqu’à octobre si la sécheresse se maintient, contre mi-septembre habituellement.
« Il faut être assez fort psychologiquement et avoir une famille qui vous tienne », conclut le père de quatre enfants, saluant le soutien de son épouse qui l’épaule dans les moments où il a « des gros coups de barre ».