Tragédie de l’immigration à Lampedusa: reprise des recherches des 200 disparus

Selon les autorités, le navire parti de Libye transportait 450 à 500 migrants et seulement 150 environ ont été sauvés, ce qui laisse craindre un bilan d’environ 300 morts pour la pire tragédie de l’immigration de ces dernières années.

« On n’a plus de place, ni pour les vivants ni pour les morts », déclarait jeudi, effondrée, la maire de Lampedusa, Giusi Nicolini. « C’est une horreur, une horreur; ils n’arrêtent pas d’apporter des corps ».

Plus de 130 corps avaient déjà été repêchés lorsque les recherches ont été interrompues jeudi soir. Elles doivent reprendre vendredi vers 06H30 (04h30 GMT) autour de l’épave du bateau qui gît retournée par 40 mètres de fond à 0,3 mille nautique (550 mètres) des côtes de la petite île sicilienne.

« Il y a encore plein de cadavres. On ne peut pas dire combien; ils sont tous serrés les uns contre les autres, on ne voit que les premiers », a expliqué à la chaîne SkyTG24 l’un des sauveteurs, Giovanni de Gaetano, visiblement sous le choc.

« Nous voulons en remonter le plus possible à la surface pour les rendre si possible à leurs familles », avait ajouté l’un de ses collègues, les yeux rougis par la fatigue.

En surface, les recherches se sont poursuivies dans la nuit pour le cas où des corps flotteraient à la surface, mais « nous n’avons plus d’espoir de retrouver des survivants », a déclaré à l’AFP un membre de la Garde des finances, la police financière qui opère aussi dans le secteur.

Au moins 40 nouveaux cadavres avaient été découverts jeudi soir par des plongeurs des garde-côtes, dans et autour de l’embarcation. Des médias ont parlé d’une centaine de corps dont ceux de femmes et d’enfants, venant alourdir un précédent bilan officiel de 93 morts.

« C’était tragique de voir les corps des enfants », a déclaré Pietro Bartolo, un responsable sanitaire de l’île. Selon lui, Lampedusa « n’a pas assez de cercueils » et a dû en faire acheminer par avion.

Rome a décrété vendredi « deuil national » et une minute de silence sera observée dans toutes les écoles ainsi qu’avant tous les matchs de football du championnat.

Le vice-Premier ministre Angelino Alfano, dépêché sur place, a confirmé à l’AFP que le skipper du bateau avait été arrêté. « C’est un Tunisien de 35 ans qui avait été expulsé d’Italie en avril », a-t-il précisé.

Les migrants, en majorité des Somaliens et Erythréens, étaient partis des côtes libyennes, depuis le port de Misrata.

Le bateau de pêche a commencé à prendre l’eau et « de peur qu’il ne coule, les migrants ont enflammé une couverture (pour attirer l’attention, ndlr), mais cela a provoqué un incendie, puis le navire a chaviré », selon M. Alfano.

« Un océan de têtes »

Un pêcheur, Rafaele Colapinto, a expliqué être venu en aide à des migrants: « On a vu un océan de têtes, on a mis une demi-heure pour embarquer chacun d’entre eux car ils glissaient à cause du gazole » répandu à la surface de la mer.

Une jeune Erythréenne encore en vie a été retrouvée parmi les cadavres déposés dans un hangar, après qu’un sauveteur eut remarqué qu’elle respirait encore. Placée en réanimation à l’hôpital de Palerme, en Sicile, elle se trouve dans un état grave, déshydratée, en hypothermie, atteinte d’une pneumonie après avoir ingéré, comme les autres victimes, du gazole échappé du bateau.

Mme Nicolini a envoyé un télégramme amer au Premier ministre Enrico Letta lui demandant de « venir compter les morts avec (elle) » et a accusé l’Europe de « détourner le regard (..) face à l’énième massacre d’innocents qui a lieu devant (son) île ». Elle a rappelé que Lampedusa, plus proche des côtes nord-africaines que de la Sicile, est « depuis des années » la destination des immigrés clandestins.

« C’est un drame européen, pas seulement italien », a expliqué M. Alfano, en demandant que l’Italie, où ont afflué 25.000 migrants cette année (trois fois plus qu’en 2012), puisse étendre ses patrouilles « au-delà de ses eaux territoriales ».

La ministre de l’Intégration Cécile Kyenge, première Noire dans un gouvernement italien, a réclamé l’instauration de « couloirs humanitaires pour rendre plus sûres ces traversées sur lesquelles spéculent des organisations criminelles ».

« Une honte »

Le président Giorgio Napolitano a demandé à « l’Europe de stopper le trafic criminel d’êtres humains en coopération avec les pays de provenance » et réclamé « la surveillance des côtes d’où partent ces voyages du désespoir et de la mort ».

Le pape François, qui s’était rendu pour son tout premier voyage hors de Rome à Lampedusa début juillet, a parlé de « honte » face aux « nombreuses victimes de cet énième naufrage ». Il devrait redire vendredi lors d’une visite à Assise (centre), ville du saint dont il a choisi le nom, son rejet de « la culture du déchet », qui tend à écarter, marginaliser, voire éliminer les plus faibles dans la société, parmi lesquels il classe les immigrés clandestins.

Selon le réseau d’ONG Migreurop à Paris, en vingt ans, 17.000 migrants sont morts en tentant de rallier l’Europe. La dernière tragédie la plus meurtrière remonte à juin 2011, quand 200 à 270 migrants originaires d’Afrique subsaharienne et fuyant la Libye s’étaient noyés en tentant de gagner Lampedusa.

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