La Russie a donné l’impression de ne pas remporter la guerre navale mais le contrôle de la mer d’Azov a sécurisé ses flux maritimes

Propos recueillis par Erwan Sterenn

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La destruction, en avril dernier, dans les premières semaines de la guerre en Ukraine, du Moskva a frappé l’opinion. Quelle est véritablement la dimension navale du conflit russo-ukrainien ?

Bâtiment amiral de la flotte russe de la mer Noire, le Moskva assurait la surveillance aérienne de la partie occidentale de la mer Noire. Croiseur ancien, avec des défenses antimissiles obsolètes, il s’est laissé surprendre en entrant dans le secteur de tir de batteries ukrainiennes, un fait qui rappelle les pertes anglaises aux Malouines. Les unités russes plus récentes et les batteries côtières russes de missiles antinavires sur le littoral de Crimée ont joué un rôle déterminant, lançant plus de 900 missiles contre des objectifs dans l’intérieur des terres. Les fusiliers-marins russes se sont emparés du littoral de la mer d’Azov principalement par voie terrestre depuis la Crimée, permettant ensuite d’utiliser le port de Berdiansk pour soutenir le siège de Marioupol, bombardée par des canonnières à faible tirant d’eau. Devant Odessa, la flotte amphibie russe a fixé des troupes ukrainiennes avant de renoncer à attaquer la ville, défendue efficacement par des mines.

Dépourvue de capacités de combat sur mer, l’Ukraine a agi avec ingéniosité. Ses drones aériens paraissent avoir frappé le port de Berdiansk et la base aéronavale de Saki en Crimée, détruisant un bâtiment de débarquement et des avions.

Elle a développé des drones de surface employés pour deux attaques infructueuses mais spectaculaires contre Sébastopol. Kiev est également parvenue à saboter un tronçon du pont de Crimée, ralentissant le ravitaillement des forces russes. Sous l’égide de la Turquie et des Nations unies, un accord quadripartite a permis à l’Ukraine de reprendre ses exportations de blés avec le consentement de Moscou.

Si la Russie a donné l’impression de ne pas remporter la guerre navale, en réalité, le contrôle de la mer d’Azov a sécurisé ses flux maritimes qui ne risquent plus d’être bloqués depuis Marioupol et Berdiansk où l’Angleterre devait construire une vraie base pour des corvettes lance-missiles. Depuis l’attentat du pont de Crimée, la Russie a interdit l’accès à la mer d’Azov aux navires non chargés en Russie, augmentant ainsi ses exportations de pétrole, d’engrais et de grains par voie maritime. 

Comment la marine française a-t-elle positionnée, et positionne-t-elle, ses navires dans ce conflit et pour quels objectifs ? 

A partir de décembre 2021, la Russie a concentré les unités les plus importantes de sa flotte de surface en Méditerranée. Les croiseurs Marshal Ustinov et Varyag sont venus des flottes du Nord et du Pacifique, escortés par deux destroyers, une frégate et des sous-marins nucléaires d’attaque. Ils ont été renforcés par une frégate et deux sous-marins de la mer Noire. L’OTAN a réagi à cette concentration puis à l’invasion de l’Ukraine en déployant trois porte-avions dont le Charles de Gaulle, dans le cadre de la mission Clémenceau 22, escorté par deux bâtiments antiaériens, le Forbin et l’Alsace, la FREMM de lutte anti sous-marine Normandie, le SNA Rubis et le pétrolier ravitailleur Marne.

Le groupe aéronaval français a ainsi assuré la protection du flanc Sud-Est de l’OTAN (incluant la Roumanie et la Bulgarie) aux côtés des groupes aéronavals des porte-avions américain Harry S. Truman et italien Cavour. La mission Clemenceau 22 a pris fin en avril, mais a repris le 15 novembre, sous le nom de mission Antares. Il s’agissait toujours de renforcer la posture défensive et dissuasive de l’OTAN, tout en participant à l’opération Inherent Resolve contre l’Etat-Islamique. En Baltique, la France a dépêché le bâtiment antiaérien Chevalier Paul qui a relâché le 30 novembre en Suède, candidate à l’OTAN.

Comment se sont positionnées les marines des Etats-Unis, mais aussi de la Turquie qui contrôle dans le cadre de la Convention de Montreux de 1936 l’accès à la mer Noire, et de la Chine ?

Le 28 février, quatre jours après le début de l’invasion, la Turquie a fermé le Bosphore aux belligérants, mesure qu’elle a étendu aux bâtiments de guerre des autres nations, exceptés ceux basés en mer Noire. Ankara a ainsi empêché Moscou d’envoyer des unités participer aux frappes et l’OTAN de collecter du renseignement depuis ses navires. Si l’on en juge par le doublement des escales à Faslane en Ecosse, les Etats-Unis ont intensifié leurs activités sous-marines en Atlantique Nord tandis que la Turquie jouait les médiateurs entre Kiev et Moscou tout en faisant pression sur l’OTAN en menaçant d’occuper les îles grecques qui devraient être démilitarisées selon le traité de Lausanne. Quant à la Chine, elle a blâmé l’OTAN d’avoir provoqué la Russie en voulant s’étendre en Ukraine, tout en désapprouvant l’invasion russe. Sa marine a été et est totalement absente du théâtre. 

Alexandre SHELDON-DUPLAIX
Alexandre SHELDON-DUPLAIX
Alexandre Sheldon-Duplaix est co-auteur de "Flottes de Combat", l’ouvrage de référence sur les marines du monde, et l’auteur de deux sommes à ne pas manquer : "Histoire des sous-marins des origines à nos jours", 4e édition, avril 2022 (avec Jean-Marie Mathey, CA 2S) et "Histoire mondiale des porte-avions" (2e édition, décembre 2022).

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