L’indépendance stratégique de la France à l’aune de la crise du Covid-19

L’indépendance stratégique de la France passe par la mer. Cette hypothèse résonne aujourd’hui de façon singulière, à l’aune de trois éléments de contexte, fortement imbriqués. Le premier, bien sûr, est le spectre surgi des lendemains de la crise sanitaire, l’industrie de défense traversant, comme le reste de l’économie, de fortes turbulences. Un constat liminaire : l’industrie navale militaire semble moins impactée que la branche civile, ultra-dépendante du tourisme, et dont les premiers effondrements n’ont pas tardé de l’autre côté de nos frontières. La compagnie espagnole Pullmantur, détenue à 49 % par l’américain Royal Caribbean, vient ainsi de déposer le bilan, entraînant la destruction imminente de deux navires bien connus des chantiers de Saint-Nazaire : le Sovereign of the Seas et le Monarch of the Seas. Presque au même moment, le vendredi 12 juin 2020, le sous-marin nucléaire Le Téméraire réussissait son tir du missile balistique stratégique M51, depuis la baie d’Audierne, dans le Finistère. Un secteur, deux trajectoires. Attardons nous un instant sur ce dernier succès qui porte un enjeu phare : la crédibilité de la dissuasion nucléaire française, pilier de l’indépendance stratégique de notre pays. En tant que maître d’œuvre industriel du missile M51, ArianeGroup, co-entreprise entre Airbus et Safran, est présent sur tout le cycle de production : recherche amont, conception, fabrication, maintien en condition opérationnelle et démantèlement. Si de grands donneurs d’ordres comme Safran, Thales ou Naval Group figurent parmi les 900 partenaires industriels du programme, qui battent tous pavillon français pour des raisons d’indépendance stratégique précisément, c’est en grande partie sur les 400 PME impliquées qu’il repose. On retrouve ainsi, dans le Val-de-Marne par exemple, des PME comme Sodern et ses viseurs stellaires, ou Souriau et ses connecteurs ultrasophistiqués : des savoir-faire français d’excellence aux portes de Paris, qu’il s’agit de toujours mieux promouvoir. Dans cet esprit, le GICAN (Groupement des industries de construction et activités navales) a souhaité contribuer à l’effort de relance du secteur maritime en annonçant la tenue du salon Euronaval 2020 en octobre prochain, premier événement post-covid d’ampleur, dans ce secteur. Un signe fort.

Accélérer la stratégie maritime

Les astres s’alignant, la création, à l’occasion du remaniement ministériel de juillet 2020, d’un ministère de la Mer, près de 40 ans après sa création en 1981, constitue le deuxième point de cette réflexion. Conséquence directe de la crise sanitaire et des élections municipales, qui ont vu émerger certaines aspirations, elle est loin d’être anodine. Le poste est complexe, en raison du caractère éminemment interministériel de son scope, qui concerne tout à la fois la diplomatie, la marine, le commerce, le tourisme, l’environnement, l’agriculture ; un travail qui devra se faire aussi en coordination avec le Secrétariat général de la Mer, service du Premier Ministre créé en 1995 qui “anime et coordonne les travaux d’élaboration de la politique du gouvernement en matière maritime”. Quelle place, c’est le troisième point, tient la question de l’indépendance stratégique dans cette politique ? Cela revient à interroger les moyens dévolus de manière générale à la résilience de notre pays, à la préparation de nos armées – de notre flotte en l’occurrence -, aux conditions d’approvisionnement de notre pays en équipements, nourriture, matériel medical, pièces de rechange, énergie… pour faire face aux prochaines crises, qu’elles soient d’origine humaine ou naturelle. Si la première priorité du chef de l’Etat est de « reconstruire une économie forte, écologique, souveraine et solidaire », comme il l’a récemment exprimé, celle-ci passe indéniablement par l’accélération de la stratégie maritime, qui n’a pas d’autre mot d’ordre, pas d’autre horizon, que cette indépendance stratégique, faite de résilience, d’anticipation, de dissuasion, qui impose une vision globale et s’appuie sur le poids géopolitique que confère à la France le statut de deuxième puissance océanique mondiale. Dépendre le moins possible de puissances étrangères, nouer des partenariats stratégiques à bonne échelle… et rester maître en ses mers.

Vincent DE CRAYENCOUR
Vincent DE CRAYENCOUR
Senior Advisor du cabinet international de conseil en stratégie Oliver Wyman (Département Sécurité-Défense).

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