Propos recueillis par Eugénie Tiger
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En avril dernier, MGH a inauguré à Sète, e-Maguelonne, la première pilotine 100 % électrique issue d’un projet baptisé Green Pilot que vous avez lancé en 2018 (lire page XXX). Quelle est l’importance de ce projet ?
Jean-Michel Germa : Ce projet démontre qu’il est possible de propulser électriquement un navire de servitude portuaire à forte puissance et à court rayon d’action, sans en altérer l’usage pour les pilotes. C’est une démonstration concrète des avantages de cette technologie silencieuse et économe en énergie, qui peut contribuer à la dépollution d’un site portuaire.
Allez-vous étendre l’expérience à toutes les pilotines de France ?
L’étude de marché que nous avons réalisée montre que nous pourrions décarboner environ 40 % des pilotines en France. 40 % « seulement », parce que certaines pilotines ont des besoins supérieurs à ce que permettent les batteries électriques, et qu’il n’est pas toujours possible d’installer des bornes de recharge à proximité des stations de pilotage. Cette décarbonation ne requiert qu’un soutien modique de la part de l’État : en France, nous le chiffrons à hauteur de 3 à 10 millions d’euros pour les 10 prochaines années. Au-delà de ces 10 ans, ce soutien ne sera plus nécessaire car le prix des carburants et les taxes carbones auront suffisamment augmenté, et le prix des batteries suffisamment baissé pour que l’option électrique s’impose naturellement. Le marché français reste toutefois étroit : sur une centaine de pilotines au total, environ quatre sont renouvelées chaque année. Mais un coup de pouce de l’État aujourd’hui permettrait aux entreprises françaises de se positionner pour saisir des opportunités à travers le monde. En Europe par exemple, environ 50 nouvelles pilotines par an pourraient être propulsées par l’électricité.
Le succès de votre projet Green Pilot représente un pas de plus dans la décarbonation des activités portuaires. Quelles sont aujourd’hui la situation et les perspectives dans ce domaine ?
La décarbonation du secteur portuaire viendra principalement de l’utilisation du courant à quai (Ndlr, également appelé « courant quai ») par les navires de commerce, car ce sont eux qui sont à l’origine de la majeure partie des émissions de CO2 dans les ports. Cette technologie s’améliore et l’utilisation du courant à quai est en croissance. En ce qui concerne plus spécifiquement les navires de servitude portuaires – pilotines mais aussi lamaneurs et remorqueurs portuaires – la combinaison de la propulsion électrique et de l’introduction progressive de carburants de synthèse devrait permettre, à terme, une décarbonation totale.
Le tableau de marche fixé par l’Organisation maritime internationale (OMI) pour la réduction des émissions de CO2 du secteur maritime, -40% d’ici à 2030, -70% d’ici à 2050, vous paraît-il réaliste ?
Je suis convaincu que ces objectifs sont atteignables à ce rythme, oui. Pour les pilotines, l’évolution devrait même être plus rapide. Le tout avec un effort minime des contribuables.
Sur quels autres projets MGH travaille-t-elle pour trouver des solutions de substitution aux carburants fossiles ?
Nous nous intéressons à la production d’e-méthanol, d’e-diesel ou d’e-GPL : des substituts de synthèse aux carburants fossiles utilisés pour les navires, qui émettent jusqu’à 80 % de carbone en moins. Leur production nécessite beaucoup d’électricité mais si nous utilisons une énergie renouvelable, alors les carburants produits le seront également. Pour décarboner l’ensemble du shipping mondial, il suffirait ainsi de couvrir de panneaux photovoltaïque une surface correspondant à 0,6 % du Sahara. De nombreux investissements sont d’ores et déjà en cours. Avec MGH, nous développons des projets dans des espaces à fort potentiel photovoltaïque ou éolien : « déserts jaunes » à fort ensoleillement dans le Sahara, ou « déserts blancs » comme ceux du Nord de l’Europe, caractérisés par un vent froid puissant.
Quel rôle peut jouer le retour de la voile dans la dépollution du transport maritime ?
Nous croyons beaucoup dans la propulsion vélique pour les navires de commerce. Nous sommes d’ailleurs actionnaires de la société Zéphyr & Borée qui construit pour le compte d’ArianeGroup un navire de 121 mètres équipé de 4 voiles à profil épais, Canopée, qui transportera, de l’Europe à la Guyane, les composants de la fusée Ariane 6. La propulsion vélique est une manière simple et immédiate de réduire les émissions de carbone, sans substituer aux carburants existants d’autres carburants. Mais pour des raisons physiques et technologiques, les voiles ne sont pas adaptées à tous les bateaux. Sur l’ensemble de la flotte de shipping mondiale, on estime que 4 à 10 % des émissions pourront être évitées par le recours à la voile.
Travaillez-vous avec le Cluster maritime français, acteur clé de la décarbonation du secteur maritime ?
Tout à fait : je suis l’un de ses administrateurs et je préside le groupe de travail du Cluster sur les énergies marines renouvelables. Nous allons bientôt lancer un groupe de travail dédié à la décarbonation qui rassemblera toutes les parties intéressées parmi les 460 entreprises membres du Cluster. Parce qu’il fédère les professionnels, développe les échanges entre nous et porte notre voix auprès des pouvoirs publics français, européens, et de l’OMI, le rôle du Cluster maritime français est fondamental. Il nous permet de travailler main dans la main pour mieux faire avancer ces sujets d’avenir.
Vous avez été un pionnier de l’éolien et du solaire. Comment voyez-vous le développement de l’éolien offshore et l’opposition qu’il rencontre en France, dans l’opinion publique comme chez certains professionnels de la mer ?
Cette opposition est en trompe l’œil. Je considère qu’elle a été largement instituée et alimentée par le lobby nucléaire. J’en ai fait l’expérience directe, il y a plus de vingt ans, lors du développement du projet de parc éolien offshore de 700 mégawatts prévu au large du Tréport, que je portais avec La Compagnie du Vent. Pourtant, nécessité fait loi : aujourd’hui le parc électronucléaire est arrêté pour 50 % de sa puissance et certaines réparations ne sont pas possibles avant 2023 ou 2024. Nous avons donc besoin de développer rapidement toutes les énergies renouvelables, en particulier l’éolien offshore. Il faut savoir qu’aujourd’hui l’électricité éolienne est la moins chère au monde avec l’électricité photovoltaïque : elle est particulièrement compétitive en mer et peut se déployer rapidement. Et contrairement aux idées reçues, il est possible de déployer des parcs éoliens en mer sans perturber la pêche. Les études réalisées à l’époque du projet du Tréport montraient même que les ressources halieutiques étaient régénérées au sein de ces parcs. Dans le cas précis du Tréport, l’installation des éoliennes aurait gelé seulement 2 % de la surface de pêche, pour une régénération supérieure et un bilan total positif pour les pêcheurs.