« Notre adhésion au Pacte mondial des Nations unies s’inscrit naturellement dans la lignée de notre stratégie. » (Entretien avec Philippe Berterottière)

Philippe Berterottière est PDG de GTT, groupe technologique mondialement reconnu pour ses systèmes de confinement à membranes dédiés au transport et au stockage des gaz liquéfiés. Investie depuis plus de 60 ans dans la conception et la commercialisation de technologies de pointe pour une meilleure performance énergétique, l’entreprise a récemment adhéré au Pacte mondial des Nations unies. Explications.

Propos recueillis par Bertrand de Lesquen

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Le Pacte mondial des Nations unies est présenté comme « l’initiative la plus importante au monde en matière de développement durable des entreprises ». Pourquoi y avoir fait adhérer GTT en 2023 ?

Notre adhésion au Pacte mondial des Nations unies est une décision qui s’inscrit très naturellement dans la lignée de notre stratégie de développement responsable et durable. La raison d’être du groupe GTT, inscrite dans les statuts de la société, consiste à développer des technologies innovantes pour contribuer à bâtir un monde durable. Dans notre cœur de métier, nous œuvrons, et ce depuis plusieurs décennies, à développer, pour nos clients, des technologies toujours plus performantes tant sur le plan économique qu’environne- mental. La tendance s’est accélérée depuis quelques années, face à l’urgence climatique et aux exigences réglementaires croissantes. GTT accompagne aujourd’hui les armateurs et les énergéticiens dans leur trajectoire vers un monde décarboné.

L’adhésion au Pacte signifie l’engagement officiel et public de l’entreprise à « atteindre les objectifs de développement définis par les Nations unies ». Quelles implications cela va-t-il donc avoir concrètement pour GTT ?

Bien qu’il s’agisse d’une étape importante, nous n’avons pas attendu l’adhésion au Pacte des Nations unies pour engager une démarche RSE (responsabilité sociale des entreprises) vertueuse au sein du groupe GTT. Celle-ci s’articule autour de trois piliers fondamentaux. Premièrement, la responsabilité sociale : nous donnons la priorité à la sécurité, à l’égalité femmes-hommes, à la fidélisation des talents et à la lutte anti-corruption. Ensuite, les enjeux environnementaux constituent de facto un moteur d’innovation, la R&D du Groupe s’orientant de façon croissante vers les solutions dites « zéro carbone», en lien avec la stratégie de décarbonation. Très concrètement, nous concevons des solutions technologiques qui permettent ou permettront à nos clients d’atteindre les objectifs ambitieux fixés par l’Organisation maritime internationale (OMI).

Nous développons aussi de nouvelles technologies adjacentes, par exemple dans le domaine du gaz naturel liquéfié (GNL) utilisé comme carburant marin, qui permet de réduire significativement les émissions de gaz à effets de serre générées par les navires marchands, ou encore des services digitaux, un domaine essentiel pour optimiser l’usage des technologies. Et nous allons plus loin : nous anticipons les besoins de de- main, avec le développement de solutions zéro-carbone, dans le domaine de l’hydrogène notamment, avec notre filiale Elogen, ou dans le cadre des projets de développement d’un « hydrogénier ». Enfin, et il s’agit du troisième pilier de notre démarche RSE, nous nous engageons à réduire nos propres émissions de gaz à effets de serre, dans le cadre d’une démarche structurée qui devrait être finalisée courant 2023.

Selon une étude d’Accenture Strategy en collaboration avec le Pacte mondial, 87 % des dirigeants d’entreprises interrogés estiment que les Objectifs de développement durable (ODD) arrêtés par les Nations unies offrent une occasion de repenser les stratégies de création de valeur durable, 89 % que l’engagement à la durabilité a un réel impact sur leurs activités, 85 % que les partenariats inter-sectoriels sont essentiels pour permettre aux entreprises d’atteindre les ODD (1). Qu’en pensez-vous ?

C’est une réalité : face à l’urgence climatique, les entreprises sont passées à l’action ! Elles comprennent les enjeux du développement et de la croissance dans un monde plus vulnérable, et donc plus exigeant. Chez GTT, nous avons inscrit cette nécessité de durabilité dans notre raison d’être en 2020 : nous concevons des technologies pour un monde durable. C’est au cœur de notre innovation et de notre stratégie de développement, parce que nous avons la conviction que la transition énergétique passera par la technologie. Dans le monde maritime, nous constatons que les acteurs s’adaptent très rapidement, à la fois sur le plan du développement des nouveaux métiers et des technologies de demain, et pour se conformer aux réglementations contraignantes qui émanent tant de l’OMI que de l’Union européenne par exemple.

Comment évaluez-vous concrètement les perspectives dans ce domaine pour le secteur maritime ?

L’industrie maritime transporte 85 % des marchandises mondiales mais représente moins de 3 % des émissions mondiales de CO2. Cette remarquable efficacité carbone à la tonne transportée ne doit pas dédouaner le secteur de redoubler d’efforts et accélérer sa décarbonation. Des solutions technologiques existent déjà pour réduire les émissions de gaz à effet de serre de l’industrie maritime et se conformer aux exigences de l’OMI. Très concrètement, la propulsion au GNL permet de réduire les émissions de GES de 25 à 30 % d’un navire par rapport à un navire propulsé au fioul lourd. Puis viendront les bio-carburants, lorsque ceux-ci seront disponibles à grande échelle et à des prix attractifs. Le monde maritime, poussé notamment par l’OMI, ne fait qu’entamer sa révolution.

L’Europe n’est-elle pas trop vertueuse, trop empressée, par rapport à ses principaux compétiteurs, américains et chinois pour ne citer qu’eux, eu égard aux conséquences, notamment en termes de compétitivité, que peuvent faire peser les normes environnementales sur les entreprises ?

Le débat existe en effet, et le Président Macron, dans son discours consacré à la réindustrialisation prononcé le 11 mai dernier, a clairement fait valoir son opinion sur la question. Pour revenir au monde dans lequel GTT évolue, le monde maritime, la question est un peu différente puisqu’il s’agit d’un secteur par nature global. Ainsi, lorsque l’Union européenne ajoute une règlementation régionale à la réglementation internationale formalisée par l’OMI, on peut à la fois saluer le volontarisme européen et pointer les limites d’une juxtaposition de réglementations. Mais le monde maritime doit penser et activer sa révolution dans une perspective globale : com- ment s’assurer que les autres modes de transport fourni- ront des efforts comparables pour réduire leurs émissions ? Comment s’assurer que l’on pourra construire suffisamment de navires dans les prochaines années pour répondre à ces réglementations alors que le nombre de chantiers navals dans le monde a été divisé par plus de deux au cours des dix dernières années ? Comment s’assurer que le monde finan- cier ne se détournera pas du financement des navires alors que les réglementations se succèdent et rendent obsolètes des navires qu’on pouvait escompter opérer, et donc amortir, encore longtemps ? Et c’est dans les réponses apportées à ces questions que l’Europe doit se positionner. Je suis convaincu que la décarbonation peut constituer un formidable levier pour la réindustrialisation de l’Europe, et notamment de la France si l’on pense aux chantiers navals…

La décarbonation du transport maritime est un enjeu majeur pour les acteurs du secteur. Quelle sera la place du gaz naturel liquéfié (GNL) dans cette révolution à l’heure où l’on parle beaucoup des carburants de synthèse ?

Le GNL est amené à jouer un rôle essentiel dans la décarbonation du transport maritime, puisqu’il est aujourd’hui la seule énergie permettant la propulsion des navires avec l’avantage d’être à la fois abondante, disponible et respectueuse des normes de l’OMI. L’investissement pour équiper un navire d’un système de propulsion au GNL est certes assez conséquent, mais il s’amortit rapidement au regard du prix actuel du fioul lourd et des carburants pétroliers compatibles. Rappelons toutefois que la crise russo-ukrainienne a entraîné, en 2022, une forte hausse du prix du GNL, rendant l’amortissement de l’achat d’une cuve GNL plus difficile à atteindre. Cette situation a sans doute constitué un frein pour les armateurs, lorsque les prix étaient au plus haut. La situation est aujourd’hui revenue à des niveaux plus raisonnables, le GNL carburant redevient attractif et le développement du GNL carburant devrait continuer sur la lancée entamée en 2021. En effet, l’OMI va poursuivre sa pression environnementale et donc réglementaire dans les prochaines années, or la solution du GNL présente des performances environnementales bien supérieures à celles instaurées aujourd’hui par l’OMI. Par ailleurs, il s’agit d’une solution technologiquement fiable, éprouvée depuis sa première utilisation sur des méthaniers dès les années 1970.


  1. Le Pacte mondial et Accenture Strategy, «Transforming Partnerships for the SDGs », p. 11.

En savoir + sur GTT et le Pacte mondial des Nations unies : www.gtt.fr et www.un.org

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