France-Indonésie : une solide relation bilatérale

La France et l’Indonésie célèbrent cette année les soixante-quinze ans de leurs relations diplomatiques établies le 4 janvier 1950. Spécialement bonnes dans le domaine scientifique où la France est depuis plusieurs décennies l’un des principaux partenaires de l’Indonésie, les relations entre les deux pays pourraient bientôt franchir un nouveau palier dans le domaine particulier de la défense.

La France et l’Indonésie ont signé un partenariat stratégique en juillet 2011 et ces dernières années ont été l’occasion pour les deux pays de le renforcer : En février dernier, le ministre français des Armées, Sébastien Lecornu, s’est rendu en visite officielle à Jakarta où il a été reçu par le président de la République, M. Prabowo Subianto, avant d’échanger avec son homologue indonésien, M.Sjafrie Sjamsoeddin, et de recevoir ce dernier à bord du Charles de Gaulle, à Lombok, à l’occasion de la première escale d’un groupe aéronaval français dans le pays. Déployé dans l’Indopacifique dans le cadre de la mission Clemenceau 25, la marine française organisait cette année la 5ème édition de l’exercice La Pérouse qui réunissait neuf pays de la région dont l’Indonésie.

Catapultage d'un Rafale Marine depuis le porte-avions Charles de Gaulle. Déployé dans la région Indopacifique dans le cadre de la mission Clemenceau 25, le porte-avions français a fait escale, fin janvier 2025, à Lombok. Une première pour un groupe aéronaval français en Indonésie. Crédit : Marine nationale.
Catapultage d’un Rafale Marine depuis le porte-avions Charles de Gaulle. Déployé dans la région Indopacifique dans le cadre de la mission Clemenceau 25, le porte-avions français a fait escale, fin janvier 2025, à Lombok. Une première pour un groupe aéronaval français en Indonésie.
Crédit : Marine nationale.

La France et l’Indonésie ont également signé ces dernières années d’importants contrats dans le domaine de l’armement, domaine dans lequel Jakarta est devenu le principal client régional de la France après l’Inde. Dans le cadre de la modernisation de sa marine, l’Indonésie a notamment choisi, en 2018, l’hélicoptère français AS565 MBe Panther pour développer ses capacités de lutte anti sous-marine. En 2024, elle a commandé deux sous-marins Scorpène dans leur version la plus aboutie. L’Indonésie a aussi été l’un des premiers pays au monde à choisir le canon automoteur Caesar avant que celui-ci ne connaisse un succès international du fait de son efficacité au combat en Ukraine, faisant des 55 unités commandées l’un des piliers de la modernisation de son armée de Terre. Enfin Jakarta a acquis deux avions gros porteur A400M et officialisé en 2022 la commande de 42 avions de combat Rafale, dont les premiers doivent être livrés en 2026, faisant de l’Indonésie le troisième client à l’international après les Émirats arabes unis et l’Inde.

Ces contrats ont permis de développer une solide coopération industrielle avec la France. Dans le domaine naval, les deux sous-marins Scorpène, dont la livraison par Naval Group est prévue en 2031, seront construits en Indonésie, 30% de la valeur du contrat devant revenir au constructeur indonésien PT PAL. Le contrat signé par Thales en 2023, pour la vente à l’Indonésie de 13 radars de surveillance longue portée Ground Master 400 Alpha destinés à renforcer la protection de son espace aérien, doit aussi profiter à l’industrie locale, l’entreprise française ayant signé une joint-venture avec l’Indonésien PT LEN incluant le développement d’un centre d’excellence.

Ces contrats agrémentés de tels offsets (Ndlr, compensations adossées à un contrat d’armement (1)) indiquent la volonté de la France de soigner ses relations avec une Indonésie qui apparaît pour elle comme plus qu’un simple marché. Ils participent clairement au développement de la présence française dans la région autant qu’au rapprochement entre les deux pays, une puissance émergente comme l’Indonésie ne pouvant qu’être sensible à des partenariats contribuant à renforcer aussi fortement sa souveraineté.

La tempête diplomatique déclenchée en septembre 2021 par l’annonce de l’alliance AUKUS entre l’Australie, le Royaume-Uni et les Etats-Unis a également contribué au rapprochement franco-indonésien. Elle a, de manière évidente, poussé la France à renforcer sa relation avec l’Indonésie pour conforter sa présence dans la région indopacifique après que la signature d’AUKUS et l’annulation brutale du contrat pour l’acquisition de sous-marins français aient rendu caduque une stratégie régionale qui misait fortement sur le partenariat franco-australien. Du côté indonésien, cette annonce surprise, doublée du choix australien de se doter de sous-marins à propulsion nucléaire, a éveillé à la fois une certaine inquiétude et une appétence pour des partenariats alternatifs.

Après avoir, pendant des années, cherché à cultiver une position d’équilibre entre Pékin et Washington, Jakarta est contrainte de se protéger des visées agressives de la Chine – qui revendique une partie de la zone économique exclusive et des eaux territoriales indonésiennes (au niveau notamment de l’archipel de Natuna) -, tout en rechignant à s’aligner sur la politique étrangère américaine. L’Indonésie veut préserver ses relations économiques avec la Chine, qui est son premier partenaire commercial, sans tomber dans le piège d’une relation déséquilibrée ni céder aux pressions chinoises contre lesquelles elle renforce ses capacités de défense. Elle veut s’affirmer dans le camp des démocraties attachées au respect de l’ordre international et de ses règles, que menacent des puissances autoritaires et révisionnistes comme la Chine, sans verser dans une logique de blocs ni être emportée dans une future confrontation armée. Ce qui la pousse d’autant plus à se tourner vers des acteurs tiers comme la France.

Alors que les deux pays fêtent cette année le soixante-quinzième anniversaire de leurs relations diplomatiques, tout devrait pousser la France à approfondir ce partenariat. L’Indonésie est un carrefour historique des civilisations qui compte en son sein 1 300 groupes ethniques et 700 langues vivantes, et mêle des influences allant du monde islamique aux cultures austronésiennes. Plus grand archipel du monde avec 18 000 îles, elle est aussi un carrefour stratégique, à la frontière des océans Pacifique et Indien. Plus d’un cinquième du commerce mondial, et même les deux tiers des flux d’hydrocarbures, y transitent par le détroit de Malacca. Elle est, enfin, à la charnière de la région indopacifique, nouveau centre de gravité de la mondialisation qui abrite la grande majorité de l’humanité (4,5 milliards d’habitants), et qui générera demain la majorité du produit intérieur brut mondial.

Souvent décrite comme un “géant invisible”, l’Indonésie est un poids lourd historique de cette région, et un poids lourd émergent sur la scène internationale. Sur le plan démographique, elle se situe, avec ses plus de 280 millions d’habitants, au quatrième rang mondial, avec davantage d’habitants sur la seule île de Java que dans toute la Russie. Sur le plan économique, sa forte croissance l’a hissée au seizième rang mondial en termes de PIB nominal, et même au septième rang en parité de pouvoir d’achat (PPA), désormais devant la France. Première économie au sein de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN), dans l’une des zones économiques les plus dynamiques de la planète, l’Indonésie est aussi le seul pays de la région à être membre du G20 : une présence dans la gouvernance mondiale qu’elle entend renforcer dans des domaines allant du commerce international à l’environnement.

La croissance de l’économie indonésienne promet d’en faire l’une des plus grandes de la planète selon tous les classements internationaux. Mais l’Indonésie ne se satisfait pas de cet effet de rattrapage sur les économies plus développées, et entend s’affirmer comme un acteur économique clé : son président, Prabowo Subianto, a annoncé ces dernières semaines la création d’un gigantesque fonds souverain, Danantara Indonesia, qui doit détenir à terme plus de 900 milliards de dollars d’actifs. Une initiative peut-être appelée à servir le renforcement des liens entre la France et l’Indonésie…

Aurélien Duchêne

  1. Le but d’un offset est initialement très simple : compenser l’obtention d’un contrat de défense par une firme étrangère (plus compétitive, seule capable de fournir un bien ou un service particulier etc.) vis-à-vis des firmes nationales du secteur, en les faisant bénéficier de contrats induits, de R&D commune (offsets directs, c’est-à-dire inclus dans le processus de production), d’accès à des marchés ou d’investissements (offsets indirects). Il s’agit aussi de favoriser des transferts de savoir-faire dans les secteurs de l’armement, la défense, la haute technologie. Plus largement, les offsets doivent protéger des secteurs industriels en perte de vitesse ou en cours de développement considérés comme vulnérables. Source : ministère des Armées.

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