Hernan Cortes en rêvait déjà lors de la conquête au XVIe siècle, l’actuel président Andres Manuel Lopez Obrador veut le faire: faciliter le transit des hommes et des marchandises par voie de terre entre les deux océans, via le golfe du Mexique.
L’endroit: l’isthme de Tehuantepec, là où le territoire mexicain forme un goulot d’étranglement de 300 km entre ses deux ouvertures maritimes.
Le projet, partiellement inauguré par M. Lopez Obrador, consiste non pas à creuser un nouveau canal, mais à réactiver le chemin de fer entre les ports de Salina Cruz sur le Pacifique et de Coatzacoalcos sur le golfe.
Pour cela, le gouvernement a annoncé un investissement de 2,85 milliards de dollars (2,61 milliards d’euros). L’aménagement de l’isthme pourrait permettre d’augmenter le PIB de trois à cinq points, espère l’exécutif.
« Nous allons (…) passer d’un océan à l’autre en sept heures », a déclaré il y a quelques semaines le président Lopez Obrador dans une vidéo enregistrée à bord d’un train flambant neuf. Le service doit débuter pour les passagers en décembre.
A terme, le consortium du Corridor interocéanique de l’isthme de Tehuantepec (CIIT) espère voir transiter 300.000 conteneurs d’ici 2028 et 1,4 millions à plein régime en 2033.
– Parcs industriels –
Le « corridor interocéanique » prend forme au moment où « nos frères du Panama ont quelques difficultés par manque d’eau dans le canal » a relevé M. Lopez Obrador.
Confrontée à ce manque d’eau, l’Autorité du Canal de Panama a annoncé une réduction du trafic à 25 navires quotidiens à partir du 3 novembre puis progressivement à 20 bateaux par jour mi-février.
En 2022, le canal de 80 km de long, par où transite 3% du commerce maritime mondial, avait accueilli 39 bateaux par jour en moyenne.
La « colonne vertébrale du corridor » mexicain est sa complémentarité avec le canal de Panama, assure le capitaine de navire Adiel Estrada, coordinateur opérationnel du projet.
L’aménagement du couloir doit s’accompagner du développement de parcs industriels, pour lesquels des appels d’offres ont été lancés. Le gouvernement espère attirer sept milliards de dollars d’investissements.
Sur le Pacifique, les travaux d’extension du port de Salina Cruz sont monumentaux, mobilisant 5,5 tonnes de pierres, a pu constater l’AFP.
Lancés en 2020, les travaux génèrent 800 emplois directs et 2.400 indirects, d’après le coordinateur du CIIT, Adiel Estrada.
« C’est un projet magnifique! », s’exclame Angélica Gonzalez, une artisane de 42 ans, de Ciudad Ixtepec, l’une des gares sur le trajet entre Salina Cruz et Coatzacoalcos.
Angélica avait cinq ans quand elle a pris le train pour la dernière fois. Elle se réjouit à l’idée de vendre des habits traditionnels aux futurs touristes.
La population « est très motivée » par le couloir et ses promesses de prospérité, reconnaît Rafael Mayoral, un défenseur de l’environnement à Salina Cruz.
– Crime organisé –
Mais cela « n’efface pas son impact environnemental et social », ajoute-t-il.
Juana Ramirez, militante au sein d’Ucizoni, une organisation régionale, redoute que le corridor ne transforme l’isthme en un endroit « pollué, avec peu d’espèces animales et végétales, et une violence croissante ». Elle estime notamment que le corridor va favoriser l’arrivée du « crime organisé ».
Ucizoni affirme que le tracé n’a pas respecté les normes internationales sur la consultation des communautés indigènes, et que certaines d’entre elles ont été expropriées et déplacées.
Des membres de la Marine « répriment et harcèlent » les opposants, assure Mme Ramirez, qui dit par ailleurs être sous la menace d’une forte amende pour avoir participé à une manifestation en avril, « un clair exemple de criminalisation » de la contestation, selon elle.
Mi-2024, le train du couloir interocéanique doit être connecté à une autre ligne qui va jusqu’à la frontière avec le Guatemala via le Chiapas, porte d’entrée des migrants sur le territoire mexicain.
Selon les militants, la spéculation sur le prix des terres fait déjà rage et des mafias se livrent à des expropriations violentes à Salina Cruz et dans les environs.
L’ONG Centre mexicain de droit environnemental (CEMDA) a recensé trois homicides de défenseurs du territoire entre octobre 2022 et juillet 2023, liés selon elle au corridor. La majorité des victimes sont originaires des communautés indigènes.