Ile de la Gorgone: des serpents, des bagnards et des baleines

Île de la Gorgone (Colombie), 24 déc 2021 (AFP) – La Colombie possède deux îles dans le Pacifique : l’îlot rocheux de Malpelo, paradis pour l’observation des requins, et l’île de la Gorgone, réputée pour son bagne infâme dans les années 60 que les Colombiens redécouvrent aujourd’hui comme un paradis naturel.

La Gorgone offre un panorama de montagnes couvertes d’une épaisse jungle tropicale tombant à flancs de roches dans les eaux sombres du Pacifique. Les pluies sont quotidiennes, l’eau douce est abondante, et l’humidité sature l’air ambiant, avec une température moyenne de 25 à 30°.

C’est en fait un chapelet de deux îles, la Gorgone et la Gorgonilla : la plus grande fait 8 km de long pour 2,5 de large, avec quelques plages de graviers noirs, la seconde est un îlot d’environ 1 km du nord au sud, cernée de récifs.

– Conquistadors –

On trouve sur la Gorgone des traces de présence pré-colombienne, poteries et pierres sculptées notamment. Les conquistadors espagnols débarquent sur l’île principale en 1526, qu’ils baptisent d’abord San Felipe. Fuyant les attaques des indigènes sur la côte et à la recherche d’eau potable, Francisco Pizarro y accoste un an plus tard. En quelques mois, Pizarro perdra 87 hommes sur 770, tués par des morsures de serpents venimeux. Il décide de la rebaptiser la Gorgone, en référence à la Méduse mortelle à chevelure de serpents de la mythologie grecque.

L’île fut longtemps le refuge des forbans. Le « libertador » Simon Bolivar en fait don au XIXe siècle à un de ses sergent-chef, d’origine britannique, pour services rendus. Elle reste la propriété privée de deux familles, qui y exploitent notamment la noix de coco, jusque dans les années 1960, quand l’Etat colombien se l’approprie pour y construire une prison de « haute sécurité ».

Les plus dangereux criminels du pays, mais aussi de nombreux prisonniers politiques, sont relégués dans ce bagne sordide, où ils sont livrés aux sévices des gardiens et aux pires châtiments.

– Lézard bleu –

La prison sera fermée en 1984 et la Gorgone devient un parc national la même année. Car à côté des serpents qui pullulent sur l’île, et qui ont fait sa réputation, elle est un paradis naturel, avec un écosystème marin exceptionnel.

Le parc s’étend sur près de 62.000 hectares, dont 60.000 d’aire maritime protégée.

De juin à novembre, les baleines à bosse s’ébattent parfois à peine à quelques dizaines de mètres du rivage. Les cétacés viennent s’y reproduire, donner bas et guider les baleineaux dans des eaux relativement protégées, la pêche et la grande navigation y sont en théorie interdites dans un périmètre de 12 km.

La faune marine abondante et multicolore prolifère sur de vastes champs de récifs coralliens : tortues marines, thons, barracudas, requins marteaux, dauphins, carrangues, raies, mérous, murènes…

« La Gorgone possède deux éco-systèmes », résume le directeur du parc, Santiago Felipe Duarte Gomez : « la jungle tropicale humide, dont il reste encore beaucoup de choses à étudier, et son exceptionnel éco-système marin, avec les récifs coralliens les mieux conservés du Pacifique oriental colombien ».

– Eco-tourisme –

La Gorgone ce sont 500 différentes plantes terrestres -dont de nombreuses orchidées- 380 espèces de poissons, 19 de requins, 41 de reptiles (dont 18 serpents), 167 espèces d’oiseaux (fous bruns, pélicans et frégates), une quinzaine de mammifères (dont des paresseux et des singes capucins), 14 types de chauve-souris, et l’anole bleu (Anolis gorgone), un lézard endémique entièrement bleu et unique au monde…

Parmi les serpents, la vipère fer de lance, le serpent corail et le serpent marin (il n’existe pas d’antidote contre son venin) sont les plus dangereux. Mais la fréquentation de l’île, limitée à quelques sentiers balisés et uniquement de jour, permet aujourd’hui de prévenir les accidents.

« La biodiversité est merveilleuse ici », se félicite M. Duarte. Raison sans doute pour laquelle, de la soixantaine de parcs et zones naturelles protégées en Colombie, la Gorgone est le parc le plus étudié par les scientifiques.

La prison, progressivement dévorée par la jungle avec les années, draine toujours quelques visiteurs. Mais ce sont les baleines et les fonds marins qui attirent désormais les amateurs d’éco-tourisme.

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