La Commission estime qu’en cumulant un service de ferries avec la gestion du tunnel sous la Manche, Eurotunnel pourrait s’emparer de « plus de la moitié » du marché des liaisons transmanche, et ainsi faire grimper les prix.
« Il ne peut pas être bon pour la concurrence qu’Eurotunnel, qui détient déjà une part de marché de plus de 40% (sur les liaisons transmanche), étende son activité aux ferries », a estimé le président du groupe d’enquête britannique, Alasdair Smith.
Eurotunnel pourra choisir de vendre ses deux plus gros navires parmi les trois qu’il possède afin d’éviter que cette interdiction prenne effet.
Dans le cas contraire, le groupe se verrait interdit de service maritime au port de Douvres pendant deux ans avec n’importe quel bateau et pendant dix ans avec les « Berlioz » et « Rodin ».
En juin 2012, Eurotunnel avait été choisi par la justice française pour reprendre trois navires de la compagnie en faillite SeaFrance, rachetés pour 65 millions d’euros.
Les bateaux ont repris la mer entre août et novembre, sous le pavillon MyFerryLink, une coopérative ouvrière (Scop) créée par d’anciens salariés de SeaFrance, qui emploie aujourd’hui environ 500 personnes, dont une petite centaine côté britannique.
Le groupe Eurotunnel a immédiatement décidé de faire appel de la décision de la Commission britannique, qu’il juge « incompréhensible, et gravement disproportionnée ».
Entre la France et l’Angleterre, le tunnel ne capte « que 40% de part de marché pour le trafic de camions. Même si vous ajoutez les activités de MyFerryLink, ce qui n’a pas de raison d’être, on arrive à 49%, ça laisse quand même 51% au maritime », a déclaré à l’AFP Jacques Gounon, le PDG d’Eurotunnel.
« Injustice pour les marins »
« Injustice pour les marins »
Pour Eurotunnel, cette décision est « en contradiction » avec celle prise en novembre par l’Autorité de la concurrence française, qui a jugé que le rachat des trois navires ne posait pas de problèmes concurrentiels pour le transport de passagers, mais a posé des conditions pour le fret.
Outre MyFerryLink, le Britannique P&0 et le consortium franco-danois Louis Dreyfus-DFDS assurent les liaisons maritimes entre la France et l’Angleterre.
« En retirant un opérateur maritime, je ne vois pas comment vous pouvez dire que ça va faire baisser les prix, c’est même l’inverse », rétorque M. Gounon.
P&0 affirme pour sa part subir une « chute de rentabilité » en raison de concurrents « fixant des prix en-dessous du coût pour gagner des parts de marché ».
Le PDG d’Eurotunnel se défend également d’avoir racheté les bateaux SeaFrance pour empêcher LDA-DFDS de s’en emparer à bas prix, avec pour conséquence une baisse des tarifs passagers, comme l’en accuse la commission.
« DFDS avait fait une proposition sur un seul navire, ils ne voulaient pas reprendre tout SeaFrance », rappelle-t-il.
Plus généralement, « pourquoi interdirait-on à Eurotunnel de s’intéresser au maritime? », interroge Jacques Gounon.
Si Eurotunnel est l’actionnaire majoritaire de la société MyFerryLink, la Scop est elle indépendante, insistent les deux entreprises.
L’activité de MyFerryLink est « totalement indépendante au niveau du business d’Eurotunnel », souligne Raphaël Doutrebente, directeur général adjoint de My Ferry Link, qui va également faire appel de la décision britannique.
Cette décision cache « une très grave injustice pour les marins de la Scop, qui sont repartis de zéro », estime M. Gounon. Selon lui, le taux de remplissage des navires atteint désormais 60%, avec un trafic de 25.000 camions par mois.
La direction de MyFerryLink dit être déjà à la recherche de « solutions financières », au cas où Eurotunnel devrait se retirer.
Le gouvernement « fera tout ce qui est en son pouvoir afin de maintenir les conditions d’une concurrence loyale sur le Détroit et défendre l’emploi des 533 marins employés par la SCOP », a indiqué dans un communiqué le ministère des Transports.
Il a indiqué par ailleurs son intention de « se rapprocher des autorités britanniques pour examiner les possibilités d’une procédure commune d’arbitrage entre les décisions des deux autorités de la concurrence ».
« Cette décision ne signe évidemment pas aux yeux des autorités française la disparition de la Scop My ferry link », a déclaré à Londres le ministre délégué à l’Economie sociale et solidaire Benoît Hamon, en marge d’un forum sur l’investissement dans l’économie sociale.
Il a également appelé de ses voeux « un arbitrage ».
La Commission britannique devra décider si l’appel a un caractère suspensif, ce qui permettrait à MyFerryLink de poursuivre ses activités pendant les 6 mois que devrait durer la procédure.
jmi-emi/ngu/al
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