Le Grèce, modeste poste avancé européen face aux flux migratoires

Pour lui, l’Europe doit agir de manière globale. Accepter ce flux en le contrôlant, y reconnaître une force économique et humaine potentielle, limiter les motifs de départs en luttant contre les guerres et la pauvreté. Il assène implacable : « Il faut une vision globale, mais qui parmi les dirigeants en Europe du nord va être capable de dire à son électorat qu’il faut accepter d’accueillir 150 ou 200 000 réfugiés ? Qui va avoir le courage de mettre un terme à la guerre en Syrie ou en Libye, guerres que les européens ont favorisé au nom des droits de l’homme ? Il est évidemment beaucoup plus facile de voter une augmentation de crédits à Frontex ou aux militaires plutôt que de faire face à ses contradictions et ses difficultés».

Les autorités grecques se sentent bien seules face à ce flux migratoire. D’après l’agence Frontex chargée de la sécurité aux frontières de l’Europe, 77 000 migrants sont entrés sur le territoire grec en 2014, prés de 22 000 pour le seul premier semestre 2015 dont la majorité par les iles de la mer Egée, la barre des 500 000 ayant été franchie en novembre 2015. Sur fond de crise économique, les grecs mêlent pourtant un sens séculaire de l’hospitalité – la philoxenia, l’amour de l’étranger -, et un sens du pragmatisme un peu fataliste, désabusé et souriant. Mais depuis le 13 novembre 2015, il ne s’agit plus de sourire.

L’exemple emblématique de Samos

Samos est une petite île de la mer Egée, une des principales porte d’entrée des migrants. Parfums de thym, eaux turquoise et oliviers séculaires. En certains points, la distance entre les rives turque et grecque n’est que de 600 mètres ! Konstantinos Tsangarakis, le chef de la police de l’ile, faisait en juin 2015 son évaluation de l’accroissement exponentielle de l’immigration : 884 immigrés entre janvier et avril 2014 contre 2 224 pour la même période en 2015. En 2004, il en avait eu …4 !

En Grèce, les douaniers ne s’occupent que des flux de marchandises. C’est la police qui assure la prise en charge administrative et judiciaire des demandeurs d’asile et des migrants clandestins économiques. Elle travaille ici en collaboration avec Frontex, mais aussi avec les services sociaux pour placer les mineurs non accompagnés et avec les ONG et l’UNHCR pour gérer l’alimentation et les soins. Elle assure aussi la garde des camps de rétention et les reconduites à la frontière. Tout cela en plus de ses missions de police ordinaire.

« Les arrivées ont plus que doublées en 2015 par rapport à 2014 » martèle le chef de la police. Athènes avait déjà prévu d’envoyer des renforts à Samos pour l’été 2015 en prélevant des policiers sur des zones moins exposés du continent, mais Konstantinos Tsangarakis ne se faisait aucune illusion. Il savait qu’il ne pourrait pas faire face à la vague qui allait arriver à l’occasion de conditions météos optimales. Les caisse de l’état étaient vides. L’avenir lui a évidemment donné raison. Sur la période juillet et aout 2015, le nombre de migrants arrivant sur les iles ne s’est pas compté en milliers ou en dizaines de milliers mais en centaines de milliers. Une migration à échelle biblique.

Secours en mer

Nikos Constandelis dirige les garde-côtes de l’île. C’est lui qui ramène les migrants trouvés en mer. Il tient 300 km de côte avec trois bateaux, deux vedettes et un speed boat. Il insiste sur le fait que ses équipes font plus dans le secours en mer que dans la protection de la souveraineté grecque. «Certains migrants voient la mer pour la première fois quand ils arrivent sur le bateau fourni par les passeurs. 9 fois sur 10, c’est un bateau gonflable surchargé, 40 personnes sur un zodiac prévu pour 15. Ils n’ont pas de gilet de sauvetage, pas de lampes, pas de boussole, pas de carte. Et ils font le trajet de nuit. Imaginez ce qui peut se passer avec un peu de mauvais temps !» La côte turque est toutefois proche. Les conditions ne sont pas les mêmes qu’entre la Libye et l’Italie. Nikos Constandelis ne déplore pas de naufrage même s’il reconnaît que les sauvetages sont parfois réalisés dans des conditions difficiles. « Il y a deux semaines, nous avons récupéré en pleine mer une maman camerounaise et ses deux nourrissons âgés de quelques jours. » Une victoire locale contre la misère et la mort, mais une goutte d’eau face aux risques que prennent des candidats à l’asile toujours plus nombreux.

Une procédure d’accueil bien rodée

Konstantinos Tsangarakis, le chef de la police, détaille le schéma d’arrivée des migrants après qu’ils aient été (le plus généralement) interceptés en mer par les gardes-côtes et amenés à la ville de Samos-Vathi, au nord de l’île. Là, ils sont remis au services de police qui dressent les premières constatations et remplissent les premiers formulaires. Puis ils sont envoyés au centre d’identification de Vathi sur une colline surplombant la Méditerranée. Les migrants y restent entre 5 et 7 jours.

Jusqu’à juin 2015, seuls 5 agents de Frontex, accompagnés d’un policier grec, essayaient de déterminer le profil réel des nouveaux venus, leur nationalité et leurs motivations, et les enregistraient. Dans le même temps, le Haut Commissariat aux Réfugiés, présent sur le site, ainsi que des ONG grecques apportent les premiers soins et assurent la fourniture de biens de premières nécessités.

Une fois les demandes d’asile pour les migrants fuyant un pays en guerre dûment enregistrées, ils  sont conduits vers Athènes en bateaux. Les migrants économiques peuvent, eux, faire l’objet d’une mesure de reconduite à la frontière (rarissime) où se voir délivrer un permis de séjour temporaire. Selon les cas, ils sont relâchés dans la nature dans l’attente du traitement de leur demande ou envoyés dans des camps d’internements, mesure beaucoup plus rare depuis l’arrivée au pouvoir du gouvernement Tsipras.

Camps d’internement et de rétention

Un policier nous accompagne jusqu’au camps ou il doit justement déposer des vêtements collectés dans la ville. Pour les habitants de l’île, il est normal d’organiser des collectes de vêtements et de subvenir aux besoins d’une prison. Car le camps d’identification est bien une prison. Double rangée de barbelés acérés, grillages, caméras, cloisonnement intérieur et préfabriqués blancs pour les chambres, l’infirmerie, les bureaux de Frontex. Tout cela au milieu des oliviers, surplombant la station balnéaire, ses plages et son eau transparente. La pancarte indique à l’entrée que le site a été financé à 90% par l’Union européenne. Un haut parleur organise en arabe les visites médicales. Des dizaines de mains sont accrochées aux grillages et patientent. Au cœur de l’été, 600 mètres plus bas, dans la baie aux eaux turquoises, des grappes d’Allemands et de Britanniques débarquent des ferries reliant l’ile à Athènes dans l’indifférence générale.

Le nombre de migrants clandestins cherchant à venir en Europe a explosé. La réponse la plus travaillée actuellement est celle de l’ouverture de camps de rétention en Turquie, ce pays devant en contrepartie recevoir une aide de 3 milliards d’euros de l’Union européenne suite à un accord signé à Bruxelle le 29 novembre 2015.


(1) En 1923, suite au traité de Lausanne démantelant l’empire Ottoman, prés d’1,5 millions de Grecs avaient du quitter la future Turquie pour venir s’implanter dans le royaume de Grèce.

 

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