Le très troublant mystère du naufrage du ferry sud-coréen Sewol

Le navire avait quitté le port d’Incheon, à 25 nautiques environ à l’ouest de Séoul et se dirigeait vers l’île touristique de Jeju au sud de la péninsule coréenne. À son bord, se trouvaient 476 passagers et membres d’équipages et 150 véhicules. Parvenu à 15 milles au sud-ouest de l’île de Jindo, le ferry, sans raison apparente, a soudain été stoppé net dans sa course puis a commencé à prendre de la bande. Quelques heures plus tard, le navire s’est entièrement couché sur le flanc bâbord, avant de se retourner et de s’enfoncer par la poupe qui toucha rapidement le fond de 30 mètres à cet endroit. Seule l’étrave et la partie avant de sa coque émergeaient encore.

Dès que le signal de détresse a été émis par l’équipage du ferry, la garde côtière a lancé une opération de sauvetage, impliquant 18 hélicoptères, 170 navires civils et militaires, les navires des garde-côtes, ainsi que 550 plongeurs militaires. À la suite de ces mesures de sauvetage, 172 personnes ont été secourus, 281 sont mortes noyées (les corps ont été récupérés par les plongeurs, jusqu’à 30 km du naufrage), tandis que 23 autres passagers sont toujours portés disparus.

Ce genre de tragédie malheureusement arrive. Chaque année des dizaines d’incidents, le plus souvent de moindre importance, se produisent dans différentes parties du monde, et les raisons spécifiques qui les ont entraînées sont généralement très vite mises en évidence au terme d’une enquête menée par des professionnels compétents. Dans le cas du ferry Sewol, les causes de l’incident sont toujours loin d’être claires. Aucune des versions proposées n’a été confirmée. Le mystère reste entier.

Deux versions officielles confuses

La première explication de l’accident, publiée par les médias, était celle d’une collision du ferry avec un récif. Cependant, les experts ont immédiatement rejeté cette hypothèse, car dans cette zone, ne se trouvent ni récifs, ni bancs de sable. Une seconde explication a ensuite vu le jour, celle d’une erreur de l’équipage. Le contrôle du navire était alors entre les mains d’un officier peu expérimenté, qui aurait fait pivoter le navire trop brusquement et ainsi, l’aurait fait basculer. Comme il ressort des résultats de l’enquête préliminaire, au moment de la catastrophe, le chargement du Sewol était de 3,5 fois au-dessus de la norme et les ballasts n’étaient pas assez remplis. C’est pour cela qu’il est apparu probable, qu’à la suite d’un coup de barre à tribord un peu serré, le chargement du navire, principalement composé de véhicules lourds et de conteneurs, ait pu riper entraînant une forte gite du navire à bâbord. Le ferry qui n’aurait par la suite pas pu retrouver son assiette a donc chaviré et coulé.

L’équipage a été arrêté et accusé de négligence criminelle. Pourtant, de nouvelles données de l’enquête ont montré qu’une telle manœuvre n’a pas été le fait de l’équipage. Selon l’officier présent sur la passerelle, le ferry a cessé de répondre aux commandes et a commencé à s’enfoncer sans raison apparente. Or, les chaînes de télévisions sud-coréennes, YTN, SBS, KBS, NBS, ont signalé dans leurs communiqués, dès le 16 avril, qu’avant que le ferry soit rempli d’eau, un grand nombre de passagers ont entendu un bruit sourd à l’avant du navire, ainsi qu’un grincement. Le capitaine et l’équipage demeurent en mandat de dépôt, sous le chef d’accusation de non-assistance à personnes en danger.

L’hypothèse d’un sous-marin…

Ainsi, aucune des deux versions n’apporte satisfaction. La vérité n’a pas encore été établie et l’explication est peut-être due à la présence d’un sous-marin. Cette hypothèse qui a été formulée par un officier de la marine coréenne, semble intéressante. Elle se base sur des informations provenant de témoignages de personnes présentes à bord et rescapées du naufrage, sur des estimations d’experts et sur des publications parues dans les médias.

Tout d’abord, le départ du ferry du port d’Incheon a été retardé de deux heures sur l’horaire prévu, en raison d’une brume épaisse. Il est possible que ce soit là l’une des conditions préalables à l’origine du drame. En effet, pour essayer de rattraper le temps perdu, l’équipage a infléchie la route du ferry par rapport à son itinéraire initial, gagnant cinq nautiques mais en pénétrant dans une zone de navigation fermée et réservée aux exercices navals conjoints américano-sud-coréens. Les cartes des zones fermées à la navigation ou des zones dangereuses, nécessitant un permis ou une attention particulière lors de leur franchissement, sont facilement trouvables sur Internet. Une de ces zones est située juste au centre, entre la péninsule coréenne et l’île de Jeju. Ces zones, ainsi que la partie occidentale du détroit de Corée, sont exclusivement réservées aux sous-marins américains. Bien sûr, les itinéraires de leurs déplacements ne sont connus de personne, en dehors de l’armée.

Comment un sous-marin, avec ses équipements de navigation, ses sonars modernes, aurait pu heurter un navire de surface ? Pourquoi se sont-ils trouvés dans une proximité aussi dangereuse ? Il est certain que l’équipage du sous-marin ne pouvait pas ne pas voir le ferry. Cette question a été posée à l’officier de Marine coréen qui a défendu cette version. Sa réponse a expliqué beaucoup de chose. Il s’avère que l’utilisation de navires civils, comme leurre, par les sous-marins militaires, est une pratique courante. Un sous-marin, qui évolue à faible profondeur sous un navire civil, est beaucoup plus difficile à détecter. Les émissions de bruits du bateau, sa proximité et le fait que le sous-marin se trouve en dessous, créent de fortes interférences, avec les équipements hydroacoustiques embarqués dans un avion de reconnaissance. Le sous-marin devient alors presqu’indétectable. C’est la couverture idéale. Par conséquent, l’utilisation de cette méthode est incluse dans les programmes de formation des équipages de sous-marins militaires, dans les différents pays. Supposons que cela soit le cas. Pourquoi alors, la collision a-t-elle eu lieu ? Le plus souvent, tout le monde ignore la présence du sous-marin, avant ou après la manœuvre. C’est justement le but de cet exercice.

Il est bien possible que le «facteur humain» et des conditions hydrologiques complexes dans la région, aient joué un rôle funeste dans cette tragédie. Il est possible d’imaginer l’équipage du sous-marin en plein exercice naval détectant un navire dans sa zone d’évolution. Son sonar lui indique qu’il s’agit d’un navire civil d’un tonnage de 7000 tonnes. Le commandant du sous-marin voit dans cette rencontre, une bonne occasion de procéder à la formation de l’équipage, dans des conditions proches de la réalité. Il donne l’ordre de placer le sous-marin sous la quille du bateau. Pendant un certain temps, les deux navires se déplacent ensemble, mais un événement inattendu provoque une collision. Les facteurs qui ont créé les conditions de la collision, peuvent être dus à de forts courants sous-marins, ainsi qu’au fait que l’équipe du ferry ignorait qu’un sous-marin se trouvait sous sa quille, tandis qu’il manœuvrait.

Il est possible que le commandant du sous-marin ait donné l’ordre pour une immersion périscopique, qui a eu lieu involontairement sous le ferry, en raison de la force du courant, d’une erreur de calcul ou d’une manœuvre inattendue du ferry lui-même. Lorsque le sous-marin a émergé, il a soulevé le ferry et l’a fait basculer dangereusement. Le navire soudain hors de contrôle s’est couché. Cette hypothèse expliquerait le bruit sourd, suivi d’un grincement, entendus par les passagers : le choc de la collision, puis les coques des deux navires qui défilent l’une contre l’autre dans un bruit de taule. À ce moment, la surcharge du navire devient un facteur aggravant. Sans cette collision, ce facteur de surcharge n’aurait joué aucun rôle et le le ferry serait très probablement parvenu à bon port sans incident. Ce serait donc un enchaînement tragique de circonstances imprévues qui aurait conduit à cette catastrophe. Après la collision, le sous-marin se serait ensuite esquivé dans les profondeurs pour disparaître de la zone, avant l’arrivée des sauveteurs.

Une hypothèse étayée par une série de faits troublants :

1 – Selon les pêcheurs de l’île de Jindo, au large de laquelle s’est produit le drame, le navire a envoyé un signal de détresse dès 7 heures du matin, quand l’équipage a perdu le contrôle. Pourtant, selon le gouvernement sud-coréen, le navire n’a informé de sa situation que vers 8h50 du matin. Le site internet coréen ohmynews explique qu’un certain Jong, travaillant à la salle des machines, a déclaré « avoir fini son travail à 7h40 du matin, s’être enregistré dans le journal de bord et soudainement le ferry s’est renversé. Les hublots ont explosé et les gens ont commencé à glisser d’un bord à l’autre ». Cela signifie que l’accident a eu lieu plus tôt qu’officiellement annoncé, vers 8h42.

2 – Selon la télévision sud-coréenne, l’USS Bonhomme Richard est arrivé sur le site du naufrage du Sewol dès la première heure. Bien que disposant d’aéronefs Osprey, il est resté à distance et ce sont les navires de pêche coréens qui ont sauvé les passagers. Deux jours après la catastrophe, les médias sud-coréens ont cessé de mentionner la présence d’un navire de guerre américain à proximité des opérations de sauvetage.

3 – Les journalistes sud-coréens ont noté l’étrange comportement de l’équipage, dès les premiers moments de la catastrophe. D’après leurs informations, immédiatement après la conversation avec le capitaine du navire, la personne chargée de la sécurité au sein de la Cheonghaejin Marine Company, propriétaire du ferry Sewol, a appelé le directeur général de la sécurité et un autre employé en même temps, et a envoyé un SMS au directeur de la compagnie, Kim. Il a envoyé également un message au Service national de renseignement, et un autre au Centre de sécurité maritime d’Incheon. Malgré cela, aucune de ces personnes n’a été capable de prendre la décision pour que les passagers quittent le navire.

4 – Arrivé sur le site du naufrage, l’hélicoptère de sauvetage a été renvoyé par la police maritime. Lee Dong-hyun, le représentant de la société de sauvetage en mer Wando, a déclaré : « Nous nous sommes approchés à 20 mètres du bateau de la police maritime, et on nous a dit que les plongeurs civils n’étaient pas nécessaires, et que leurs personnels étaient suffisants. Nous avons fait le tour du site de l’accident et sommes revenus à vide ».

5 – Selon les médias sud-coréens, l’équipe conjointe du Parquet général et de la police sud-coréenne, a caché le contenu des conversations de l’équipage du Sewol avec les centres de contrôle terrestres.

6 – Sur la plupart des photos de la scène du naufrage, seule la partie avant du bateau est visible. La partie arrière du bateau, avec les hélices et le gouvernail n’est pas visible. Sur le site Good Morning London, un citoyen sud-coréen a posté une photo de l’arrière du bateau renversé. Il a indiqué les possibles déformations de l’hélice, ainsi que des rayures sur le fond du bateau. L’administration du site a immédiatement exigé le retrait de la photo en la qualifiant de photomontage.

7 – Enfin, un document été mis à la disposition des médias sud-coréens, qui affirme que les dirigeants de la République de Corée du Sud ont donné l’ordre de créer un groupe gouvernemental spécial pour contrôler le contenu des articles des médias au sujet de la tragédie.

Tout cela est suffisamment étrange pour alimenter la polémique. Il reste à ajouter que la version d’une collision avec un sous-marin n’est simplement qu’une hypothèse, qui exige des preuves. La vérité reste entièrement à établir. C’est cependant la seule version capable d’expliquer la tragédie et de donner une réponse claire sur ses causes.

La Corée avant et après la tragédie du Sewol

Le 15 août dernier, pendant la messe de l’Assomption célébrée devant 50 000 personnes au World Cup Stadium de Daejeon et couverte par la chaine de télévision nationale KBS, le Pape François, au deuxième jour de son voyage en Corée du sud, a consolé les survivants et les familles endeuillées du naufrage du Sewol au cours d’une rencontre chargée d’intense émotion. « Nous voulons la vérité sur la catastrophe, nous voulons que le Pape sache que nos gouvernants ne pensent qu’à l’argent, nous n’avons plus confiance dans notre gouvernement », lâche tristement un père de famille endeuillé.

Un journaliste sud-coréen cité par le journal La Croix confie : « Auparavant, les Coréens cherchaient en priorité le développement économique, avec une certaine fierté d’avoir rattrapé l’Occident, mais après cette tragédie, ils ont pris conscience que l’argent n’est pas la valeur absolue, qu’il faut retourner à l’essentiel ».

Il semble bien qu’il y ait deux Corées, celle d’avant et d’après la tragédie du Sewol…

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