Hommage à Alain Conan

La première expédition en 1981 ne disposait que de deux modestes voiliers. La seconde, en 1986, de deux bateaux à moteur puis il y en avait eu une troisième en 1990, une quatrième en 1999 avec le bateau de l’IRD, l’Alis, qui avait permis de découvrir l’existence d’un « camp des Français ». La cinquième, en 2000, avait été l’occasion d’une campagne de fouille terrestre sur ce fameux « camp des Français » avec la mise à jour de nombreux vestiges permettant de mieux en mesurer l’étendue. La sixième expédition, en 2003, avait permis la découverte des restes, un squelette, d’un compagnon de La Pérouse (1). La septième, du 16 avril au 15 mai 2005, avait été effectuée avec le navire « Jacques Cartier » à bord duquel se trouvait le peintre de la Marine John Pendray. Chaque campagne mobilisait toujours plus de chercheurs de haut niveau et de navires notamment de la Marine Nationale.

La huitième, en 2008, inaugurée par le ministre de la Défense, Hervé Morin, avait été effectuée à bord du batral Dumont d’Urville affecté à cette mission, avec à son bord l’amiral Bellec ancien président du Musée de la Marine, l’amiral Battet, ancien chef d’État-Major de la Marine, et le peintre de la Marine, Michel Bellion. L’opération, de grande envergure, était patronnée par l’Etat, la Marine et d’importantes entreprises françaises. Les liens sont, de fait, très anciens entre la Nouvelle-Calédonie et la Marine française, depuis l’expédition « d’Entrecasteaux » (1792-1793) envoyée à la recherche de La Pérouse (1).

Comme je l’ai évoqué plus haut, l’expédition de 2003 – à laquelle Alain Conan m’avait invité à participer comme chroniqueur en remerciement d’une campagne de communication réussie -, avait permis la découverte – dans l’épave de La Boussole, le navire de La Pérouse -, du squelette complet d’un homme. Alain nous avait chargé – le docteur Étienne Beaumont, médecin de notre expédition, chirurgien et légiste, et moi-même -, de son identification. A l’issue de notre étude, j’attribuais, pour ma part, ce squelette à l’abbé Mongez, aumônier de la Boussole, mort dans sa chambre lors du naufrage de 1788.

Pour faire avancer ses recherches, je me souviens qu’Alain partait souvent en bateau à moteur, avec son fidèle ami Michel Laffon, faire des reconnaissances dans le lagon et rencontrer des chefs de villages « pour faire la coutume ».

Le 9 décembre 2003, il avait organisé la cérémonie d’obsèques du naufragé de La Boussole à l’amirauté de Nouméa et en avait fait, à la demande du président Chirac, une belle cérémonie militaire et religieuse. Cinq ans après, en 2008, fort de toutes ses découvertes, il avait monté une remarquable exposition, intitulée Le mystère Lapérouse, au Musée de la Marine, à Paris. Le « corps » du naufragé de l’Astrolabe fut inhumé au château de Brest et l’on grava sur sa tombe l’inscription suivante, entourée de deux croix : « Ici repose l’ inconnu, membre de l’expédition du capitaine de vaisseau de Galaup de La Pérouse,  découvert à Vanikoro le 22 novembre 2003, en hommage à tous les marins et savants des expéditions scientifiques françaises péris en mer,  inhumé solennellement le 29 juin 2011,  requiescat in pace» 

Alain, disparu à l’âge de 72 ans, était né le 12 aout 1944 à Nantes. Son père avait été boulanger sur un paquebot de la Transat. Lui avait commencé sa carrière comme cuisinier à 14 ans avant de s’embarquer. Ce qui lui réussit : il fut tour à tour cuistot puis intendant puis inspecteur pour une société de ravitaillement maritime. Il visita le monde entier sur son navire. Il s’arrêta finalement à Nouméa où il rencontra celle qui devait devenir son épouse, s’y installa et y ouvrit une boucherie. Là, il réussit remarquablement : le patron boucher fonda une entreprise de réfrigération et de congélation qui lui amena toute l’île en clientèle. C’est fort de ce succès qu’il put fonder une association de recherche d’épaves qui devint, par la suite, l’association Salomon exclusivement axée sur le mystère La Pérouse (1). Il fonda également, sur le port de Nouméa, l’excellent « Restaurant du bout du monde » qu’il venait animer chaque jeudi.

Alain Conan avait ses admirateurs à Albi, ville natale de La Pérouse (1) où s’étaient fondés l’association Lapérouse – Albi-France et le musée Lapérouse (1). Le maire de la ville avait fait placer, dans le socle de la statue du grand navigateur, les ossements de marins naufragés retrouvés par l’association Salomon, à Vanikoro, en 1986. Eternel découvreur, Alain avait également révélé, au large des côtes de la Nouvelle-Calédonie, un site sous-marin recélant les carcasses de mégalodons, des requins préhistoriques géants dotés de dents immenses dont il m’avait offert un specimen. Il venait d’achever l’inventaire de tous les objets, exhumés par l’association Salomon des épaves de la Boussole, de l’Astrolabe et d’autres navires, et conservés au Musée d’histoire maritime de Nouméa. Plutôt que de publier un ouvrage sur la collection La Pérouse (1), il avait décidé de créer un site Internet en partenariat avec le Musée maritime de Nouméa. Il venait tout juste de le lancer : www.collection-laperouse.fr.

Officier de la Légion d’honneur depuis 2016, Alain Conan était une personnalité exceptionnelle, dynamique, fourmillant d’idées, discret, courageux et doué d’une forte empathie. Il a fait et il fait honneur à sa famille, à ses amis, à la science, à la mer, à la Marine, à Vanikoro et aux Salomon, à la Nouvelle-Calédonie, à la France, et pourra servir d’exemple à l’humanité.

Bertrand de Le Roncière

(1)     Le Roi Louis XVI écrivait La Pérouse. Le navigateur signait Lapérouse. 

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