Coup de mer sur un vin de Bordeaux: affaire à suivre

« C’est une piste de réflexion intéressante, surtout sur les conditions de fin d’élevage à l’abri de l’oxygène », estime Bruno Lemoine, directeur général et vinificateur du Château Larrivet Haut-Brion, deux ans et demi après la sortie de l’eau de cette cuvée sous-marine.

L’expérience au goût d’aventure débute à l’été 2011: deux « barricots » de 56 litres (quart de barrique) que son ami Pierre-Guillaume Chiberry, de la tonnellerie Radoux, fait réaliser à l’identique sont remplis du cru Château Larrivet Haut-Brion rouge 2009 « prêt à la mise en bouteille », élevé de manière classique pendant 16 mois.

L’un des deux barricots passera six mois supplémentaires en chai au château, l’autre sera immergé pendant la même période dans le bassin d’Arcachon, dans le parc à huîtres de Joël Dupuch, l’ostréiculteur du film « Les Petits Mouchoirs ».

Mises en bouteille, les deux cuvées spéciales -la première baptisée « Tellus », la seconde « Neptune »- ont été goûtées et analysées par un laboratoire vinicole une première fois en 2012.

Tellus avait alors quelque peu déçu, tandis que Neptune avait agréablement surpris.

– Le rôle de l’oxygène –

Deux ans plus tard, les expérimentateurs ont voulu poursuivre l’exploration oenologique, avec une nouvelle analyse et une dégustation en petit comité à Paris.

Il s’agissait de comparer à nouveau le Tellus et le Neptune avec le « vin témoin », le millésime 2009 tel qu’on le trouve à la vente, « un millésime de très bonne constitution, avec une bonne tenue dans le temps », selon Bruno Lemoine.

Le millésime 2009 classique est décrit comme « chaleureux, assez riche », « solaire », « avec des notes qui rappellent la confiture qui commence à cuire ».

La cuvée Tellus apparaît aux experts « plus tonique », « moins équilibrée ».

Quant au Neptune, « il semblerait qu’il ait retrouvé une nouvelle fraîcheur », commente Bruno Lemoine qui le décrit comme « plus ouvert, plus expressif, plus complexe », avec « des tanins plus soyeux ».

Irait-on jusqu’à dire que le pari de l’élevage du vin en mer est réussi? Les experts sont prudents. « Aujourd’hui ma dégustation la plus agréable, c’est avec le Neptune », reconnaît Bruno Lemoine. « Mais peut-être que dans deux ou trois ans, le Tellus sera mieux que le Neptune », nuance-t-il aussitôt.

« Il y a suffisamment de différences pour qu’on se pose au moins des questions », relève-t-il.

Plusieurs facteurs ont pu entrer en jeu pour expliquer ces différences: le vin ayant séjourné en mer a été soumis au ressac, au milieu salin, même si le barricot était étanche, mais aussi privé d’oxygène pendant six mois.

La légère salinité mesurée dans le Neptune (80 mg de sodium par litre contre des traces non quantifiables pour le vin classique), si elle n’est pas vraiment perceptible à la dégustation, agit comme « un exhausteur de goût », soulignent les spécialistes.

Mais ils s’intéressent surtout au rôle de l’oxygène. Pendant son séjour dans le bassin d’Arcachon, Neptune s’est retrouvé dans des conditions anaérobies, c’est-à-dire privé d’oxygène.

L’absence d’oxygène entraîne une sélection des micro-organismes, explique Mikaël Laizet, oenologue conseil du laboratoire Michel Rolland. Seules subsistent les bactéries lactiques, tandis que disparaissent les bactéries acétiques, celles qui permettent la transformation du vin en vinaigre, ou encore les brettanomyces, des levures qui peuvent donner au vin « des arômes animales, comme la sueur de cheval ».

Mais le vin a aussi « besoin d’oxygène pour se construire et se stabiliser », souligne-t-il.

Bruno Lemoine exclut l’idée d’immerger à nouveau une barrique de vin dans le parc à huîtres de son ami Joël, même si « c’est très amusant et très festif ».

« C’est une expérimentation anecdotique et la base d’une réflexion », ajoute-t-il, estimant prématuré d’évoquer une éventuelle modification des méthodes d’élevage.

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