A La Ciotat, un pêcheur sachant pêcher les poissons vivants

Carrure massive, cheveux poivre et sel, voix rocailleuse et un accent qui chante, ce quinquagénaire a inventé son métier: il est aujourd’hui l’un des principaux fournisseurs en poissons méditerranéens d’une cinquantaine d’aquariums européens, un métier qu’il a inventé.

Gérard Carrodano a développé des méthodes personnelles pour limiter la mortalité. Dans un hangar de tôle au bout d’un quai de chantier naval de La Ciotat, à une vingtaine de km à l’est de Marseille, il prépare un envoi, par transporteur, de dorades roses, d’un poulpe et de quelques langoustes pour l’aquarium de Blankenberge en Belgique. Chaque animal est conditionné dans un sac étanche, avec de la glace dans un deuxième sac « pour maintenir l’animal en léthargie » durant le voyage.

« Moi, je suis un minot de la Ciotat, un gamin qui traînait sur les quais du port et pêchait avec un bout de ficelle », confie le Provençal. L’envie d’aller voir sous la surface, il la doit au petit aquarium de la boulangerie où sa mère l’amenait quand il avait 4 ou 5 ans. Plus tard, un cousin, champion de chasse sous-marine, l’a initié à l’apnée.

« Quand j’ai dit à mon père que je voulais être pêcheur, il m’a pris pour un fou ». A la trentaine, Gérard Carrodano quitte le chantier naval de La Ciotat, où son père travaillait avant lui, pour devenir pêcheur.

Dès le début, il pratique une pêche sélective, notamment « à la palangre (une ligne avec plusieurs hameçons) ». « Je défends la pêche artisanale, celle des gens qui comptent en kilos ».

A la fin des années 80, un ami biologiste à Sète lui conseille de se tourner vers la commercialisation de poissons vivants, « cinq fois plus chers » que ceux destinés aux poissonniers. « C’était le plein boum de l’aquaculture, ils avaient besoin de géniteurs ».

Gérard Carrodano passe à la collecte pour les grands aquariums. L’un de ses premiers clients, le célèbre Aquarium de Monaco lui assure la reconnaissance. Le pêcheur bénéficie aussi de son expérience de 22 ans de plongée sportive, couronnée par un titre de vice-champion du monde de chasse sous-marine en 1988. Il connaît chaque m2 des fonds sous-marins de La Ciotat et de ses environs, il sait où nichent les différentes espèces.

-« Les poulpes, rois de l’évasion »-

Trouver le poisson est une chose, mais le garder vivant et en bonne santé en est une autre. Le pêcheur a dû innover, « la pêche sous-marine, ce n’est que 10% du travail », souligne-t-il.

Premier écueil, les poissons trouvés à 20 ou 30 mètres supportent mal la remontée. « Ils buggaient », dit le pêcheur. « Un biologiste m’a expliqué par téléphone: +trouve une aiguille pour les ponctions lombaires et pique dans la vessie natatoire+ », un organe empli de gaz dont la taille diminue avec la pression.

Cet acte qui permet d’assurer la décompression des gros poissons, comme les bars ou les dorades, est toutefois impossible à pratiquer sur les petits poissons de quelques centimètres. Le pêcheur a dû mettre au point des paliers de décompression pour ceux-ci, placés dans de grandes bouteilles percées.

« On ne vend pas un poisson qui n’est pas acclimaté, il y a du boulot à tous les étages, pour le stockage, l’acclimatation. Il faut connaître le poisson par coeur », dit-il.

« C’est affectueux comme un chien », lance encore le pêcheur en caressant trois raies qui viennent à la surface d’un bassin de 12.000 litres.

Le réservoir des poulpes possède un couvercle vissé car « ce sont les rois de l’évasion ». « Ne jamais mettre deux poulpes dans le même bassin, leur laisser de la lumière », explique-t-il.

En 2013, une grande marque de montre lui avait « loué 2.000 poissons » pour le Salon de l’horlogerie à Bâle. « Ils m’ont rapporté les poissons après le Salon et je les ai relâchés. Je me suis régalé! ».

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