Devoir de mémoire sur les plages du Débarquement: des éoliennes dans le viseur

« Ces plages appartiennent à l’Histoire. C’est ici que la libération du monde a commencé. Si vous permettez cette comparaison, je ne pense pas que les Allemands vont construire un parc d’éoliennes à proximité des ruines d’un camp de concentration. Ce sont des lieux sacrés », a estimé Karel Scheerlinck, citoyen belge résidant à Arromanches.

Environ 200 personnes y étaient rassemblées mercredi soir dans une salle comble pour un débat public sur la compatibilité du projet de parc éolien prévu à 12 km de là, « une des questions les plus sensibles » de ce projet, selon la présidente de ce débat, traduit spécialement en anglais, Claude Brévan. Au total, une dizaine de réunions publiques sont prévues de mars à juillet.

« Nous devons à tous ces soldats, à ces vétérans très fatigués qui ont à coeur de défiler, le respect pour la liberté qu’ils nous ont donnée. Des éoliennes d’accord, mais pas ici. Il y a eu trop de sang versé », a renchéri Gisèle Forknall, veuve d’un ancien combattant venue de sud de la France.

Et pour recréer l’arrivée de milliers de bateaux alliés le 6 juin 1944, « comme le peintre a besoin d’une toile vierge, l’imaginaire a besoin d’un horizon » dégagé, a ajouté William Jordan, guide britannique des plages du Débarquement depuis 23 ans.

Selon Mme Brévan, ces 75 éoliennes de 100 m de haut se verront des secteurs où Britanniques (Arromanches) et Canadiens (Courseulles, à 10 km du parc) ont débarqué, mais pas du secteur américain plus à l’ouest. Jean-Marc Veizien, ingénieur au CNRS, a comparé l’impact visuel de chaque éolienne à « une moitié d’ongle au bout d’un bras tendu ».

Mais pour d’autres intervenants, en contact avec les vétérans, ceux-ci n’y sont globalement pas hostiles tant que les éoliennes ne sont pas sur la plage.

Les anciens combattants partagés

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« Ils croient en l’avenir. Ils ont des éoliennes en mer chez eux. Ils pensent aux enfants. Leur souhait est qu’il y ait une trace dans cette ferme éolienne, peut-être une marque de leur régiment, quelque chose qui leur rende hommage », a rapporté Anne d’Ornano, présidente DVD du conseil général de 1991 à 2001, évoquant des vétérans canadiens rencontrés lors des commémorations du 69e anniversaire du Débarquement le 6 juin.

Son sentiment est partagé par Adrian Cox, élu anglais d’Arromanches. « Je travaille beaucoup avec les vétérans britanniques. Beaucoup ont eu peur, mais seulement par manque de détail des informations qu’ils ont trouvées sur internet. Ces dernières années, j’ai reçu des emails disant: +Comment des éoliennes sur les plages+! », a-t-il dit.

« Il y a deux ans, j’ai rencontré un vétéran. Il s’est tourné vers l’intérieur des terres et il m’a dit: +Ce n’est pas ma plage. Quand j’ai débarqué, il n’y avait pas ces bâtiments. Des amis sont morts sous ces bâtiments+. Pour autant, le débat n’a jamais été ouvert sur l’utilité des marinas », a raconté Christophe Collet, président d’une association de promotion du devoir de mémoire auprès des jeunes Canadiens.

« Pour eux, le devoir de mémoire est dans le coeur », a-t-il ajouté.

Le président PS de la région Basse-Normandie, Laurent Beauvais, défend un projet « tout à fait compatible » avec le devoir de mémoire. La collectivité prépare un dossier de classement des plages du Débarquement par l’Unesco qui inclut le parc éolien, le seul des quatre premiers parcs prévus au large de la France d’ici à 2018 à se trouver à proximité d’un site historique.

Un classement que la Fédération environnement durable, une association antiéoliennes qui boycottait la réunion, a demandé d’urgence, affirmant que ce parc éolien « est considéré comme un sacrilège par les familles » de vétérans.

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