« Nos jours sont comptés », « ici on ne meurt plus de mort naturelle », « on crèvera tous d’un cancer »…, des centaines de témoignages de ce type ont été récoltés dans les villes de Fos-sur-mer et Port-Saint-Louis du Rhône, pendant des années, auprès d’habitants de tous âges et de toutes origines géographiques et sociales, par l’équipe de l’anthropologue américaine Barbara Allen.
Cette étude avait pour but de « documenter sur le plan sociologique et anthropologique le fait de vivre et d’habiter dans la zone industrielle de l’étang de Berre et du golfe de Fos ».
Les chercheurs relèvent l’omniprésence dans « les discussions des propos relevant de la maladie et de la mort », en comparaison avec un autre échantillon, des habitants de Saint-Martin-de-Crau, une localité à 30 kilomètres de là.
« Le fait de contracter le cancer apparaît comme une spécificité ordinaire de la zone industrielle et habiter ce territoire un facteur prédisposant à cette maladie », relève l’étude.
Dans ces entretiens, les habitants du golfe de Fos manifestent aussi une forte défiance vis-à-vis des institutions et un sentiment d’injustice. Ils déplorent ainsi que certaines études sanitaires publiées sur la région « mettent plutôt en avant les questions de comportements (ndlr: comme le tabagisme) comme facteurs explicatifs plutôt que les facteurs environnementaux », ce qu’ils vivent comme une « stigmatisation ».
Un ensemble hétérogène d’éléments « alimentent » aussi « la suspicion des habitants envers les industriels », notent les chercheurs: « manque d’information, absence de contrôles jugés fiables par les habitants, types de polluants mesurés ».
L’équipe de l’Américaine Barbara Allen avait commencé à s’intéresser au golfe de Fos en 2015, et a observé « une demande sociale de la part des acteurs locaux concernant une étude en santé-environnement ». Son approche, inhabituelle en France, a impliqué plus de 300 riverains, en se fondant sur les déclarations des habitants de ces territoires pollués, « riches d’un ensemble d’observations, de connaissances et d’analyses concernant leur environnement ».
Le premier volet de l’étude Fos-Epseal, publié en 2017, avait jeté un pavé dans la mare: elle concluait que les femmes interrogées à Port-Saint-Louis et Fos-sur-mer avaient trois fois plus de cancers que la moyenne nationale, ou encore que 63% de l’échantillon interrogé déclarait une maladie chronique.
Elle avait même donné lieu à une enquête de l’Agence régionale de santé, qui avait conclu à son tour que les habitants de la zone industrielle connaissaient « un état de santé fragilisé, dans une zone fragilisée par la pollution environnementale ».