Arrivée et premiers jours à McMurdo

Ancien officier, Eric Chevreuil a quitté l’armée française en 1999 après 18 ans de service, avant de partir pour les Etats-Unis. Installé depuis 22 ans en Californie, il a été sélectionné pour un séjour de cinq mois sur la base américaine de McMurdo en Antarctique.  Nous publions ici le journal de bord qu’il a accepté de tenir pour les lecteurs de Marine & Océans.

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ARTICLE 2

Nous avons finalement quitté Cheech le lundi 17 octobre 2022 à midi à bord d’un Airbus A319 de l’armée de l’air néo-zélandaise. Nous avons volé un peu plus de cinq heures, dont deux au-dessus de la glace. De là-haut, l’Antarctique semble aussi immense qu’il l’est (une fois et demie la surface des USA) et la glace aride forme un formidable environnement, à la fois froid et impitoyable. Nous avons fini par atterrir sur la piste de glace, épaisse de plusieurs mètres, située face à la base de McMurdo. L’Airbus a effectué un atterrissage parfait et a finalement ralenti, tous volets sortis, pendant ce qui m’a semblé une éternité. Je suppose que les pilotes ne pouvaient pas vraiment utiliser les freins de peur de bloquer les roues et de perdre le contrôle de l’appareil. La piste fait quelques kilomètres de long. Nous sommes finalement arrivés devant le « terminal » en plein air où nous attendaient un camion-citerne, les pompiers et notre moyen de transport jusqu’à la base.

Nous nous sommes précipités hors de l’Airbus pour effectuer nos premiers pas sur le continent et nous sommes arrêtés brutalement, choqués ! Le soleil brillait encore à 18h mais il faisait – 26 degrés Celsius et il y avait du vent. Avant d’atterrir, nous avions veillé à enfiler notre équipement contre le froid (équipement ECW : équipement pour temps froid extrême), et étions contents de l’avoir fait. Nous n’avons pas tardé à nous diriger vers « Ivan le Terra Bus », vieux bus iconique monté sur des roues géantes. Les haut-parleurs encastrés dans le plafond lambrissé diffusaient un air de jazz doux pendant que nous quittions « l’aéroport » pour rouler vers McMurdo (également appelée McTown ou Town), en passant par Scott Station, la base antarctique néo-zélandaise. La route, marquée par des fanions de couleur verte et rouge, est « minée » par de multiples crevasses et fissures que nous permet d’anticiper un véhicule à chenilles placé devant nous, spécialement équipé d’un capteur géoradar. Des fanions et drapeaux noirs marquent des zones très dangereuses à éviter. Au milieu des années 90, quelques aventuriers se sont éloignés des chemins balisés trouvant la mort dans une crevasse profonde. L’histoire dit que lorsque que l’on est coincé au fond d’une crevasse, chaque expiration diminue le volume de la poitrine amenant  le corps à glisser toujours un peu plus vers le bas, rendant la respiration plus difficile à chaque fois, jusqu’à ce qu’elle devienne impossible. Ce n’est pas la façon idéale de mourir ! Restez à l’écart des drapeaux noirs !

McMurdo est le point rouge. Crédit : DR.

McMurdo, McTown !

Une fois arrivés, nous nous sommes dirigés vers le « bâtiment bleu », le building 155, « le Carré » (vocabulaire hérité de la Marine US désignant le « mess », la cantine). A première vue, vite confirmée par la suite, la base est une « ville frontière » bourdonnante d’activité, à l’extérieur comme à l’intérieur. Les véhicules anciens et neufs roulent lentement (la vitesse est limitée à 5 mph dans la zone des dortoirs et de la cantine, à 10 en ville et jusqu’à 25 à l’extérieur de la base). Les véhicules les plus anciens sont en général des camions géants ou des véhicules à chenilles spécialisés. Les camionnettes et fourgonnettes plus récentes ont toutes été surélevées et chaussées de pneus plus gros. Nous sommes passés devant la zone de stockage de carburant, la zone d’entretien des véhicules, la caserne des pompiers et le centre médical plutôt modeste. Les dortoirs sont plus récents, tous alignés comme pour un défilé. Les bâtiments scientifiques, le Carré et Crary ont également l’air neufs et modernes. Les bars Southern Cross et Gallagher, le Coffee place (où nous avons regardé le film extraterrestre classique de 1982 The Thing avec Kurt Russel dans le rôle du héros de l’avant-poste imaginaire McMurdo #31), le Chalet (siège de la la Fondation qui exhibe un buste de l’amiral Byrd), et la Chapelle de la Neige sont les survivants d’une époque où cette base était encore rustique et le continent probablement plus froid. Anecdote intéressante, dans la chapelle se trouve l’un des plus anciens artefacts de l’Antarctique : le calice apporté par le capitaine Scott au début en 1902. Il réside à Christchurch en hiver mais revient à McTown tous les l’été. Il est utilisé pour la communion par notre aumônier militaire lors de cérémonies interreligieuses.

Base américaine de McMurdo. Crédit : DR.

Un dîner rapide, un briefing sur la sécurité et nous avons récupéré nos bagages et emménagé dans nos chambres. Je loge dans le bâtiment 155, chambre 250. Trois personnes s’étaient déjà installées il y a une semaine. Le dernier lit disponible, bien sûr, est le seul lit double superposé et je prends celui du bas. Mes colocataires sont un électricien, un plombier et un spécialiste du congélateur. Le seul sur la base… J’ai plaisanté en disant qu’aux États-Unis, personne ne le prendrait au sérieux : « vous voulez dire, technicien congélateur en Afrique, n’est-ce pas ? » Les chambres sont spartiates : un lit et une armoire métallique avec trois tiroirs par personne, pas de chaises. Une télévision murale que je ne peux pas voir depuis ma couchette et un téléphone. Salles de bains (cinq), lavabos (cinq) et douches (trois) au bout du couloir. Il me faudra deux jours pour déballer et tout trier. Et pas tellement plus pour hisser sur la base le drapeau…corse !

Crédit : E. Chevreuil.

Routine

Il est maintenant temps de me créer une routine que je vais suivre pendant cinq mois. Mes camarades de chambre se réveillent à 5h du matin. Ils se couchent vers 21h. Les chambres n’ont pas de fenêtres et sont donc plongées dans le noir. Le travail commence à 7h30, neuf heures par jour, 6 jours par semaine. Tous les jours à 17h30, le travail s’arrête. Les groupes se forment par affinité et visitent la cuisine, le magasin, les bars, les buanderies, les salles de loisir des dortoirs (TV, films, connexions Internet), la bibliothèque, ou sortent de la base pour une activité planifiée ou personnelle. Un soir, je suis allé au cap de Hut Point où l’explorateur britannique Scott a construit une cabane en 1902, cabane qu’il utilisera à nouveau plus tard ainsi que Shackleton. Elle est toujours là, bien conservée, littéralement figée dans le temps. Un peu plus loin, sur une petite colline, se dresse toujours la croix érigée pour honorer la mort d’un de leurs coéquipiers. Un peu plus bas, sur la glace, une femelle phoque vient d’accoucher et nourrit son petit pendant que l’énorme mâle, couché a proximité, essaie de se gratter le ventre avec une courte nageoire. La nourriture est bonne et abondante. La cuisine dispose d’une chaine pour les repas principaux, mais également d’une station de sandwichs bien fournie. Sur des étagères l’on peut aussi trouver des sandwichs, des pizzas et des desserts à emporter. Les services libre-service sont disponibles 24h/24 et 7j/7. Le petit-déjeuner, le déjeuner et le dîner sont dignes du buffet d’un bon restaurant aux États-Unis. Le petit-déjeuner quotidien ressemble à un brunch maison, et le brunch du dimanche pourrait rivaliser avec le buffet de certains hôtels cinq étoiles ! Trop pour moi de toute façon. Je saute maintenant un repas par jour !

Non loin de Hut Point, une croix en hommage à un explorateur disparu. Crédit : E. Chevreuil.

Travailler

James, mon manager, m’attendait avec une pancarte en carton marquée Chevreuil ! Il m’a accueilli à mon arrivée m’aidant à récupérer et à porter mes 42 kilos de bagages en prévision de ma première nuit. J’ai fait mon lit et me suis couché. Le lendemain, j’ai rejoint le bâtiment des sciences, le Crary où se trouve notre cellule informatique. C’est une boutique d’informatique typique avec son fouillis d’ordinateurs en cours de traitement, les étagères pleines d’inventaire, la sonnerie permanente des téléphones et le flux des clients sans rendez-vous… mais quelle vue. Je dois apprendre les ficelles du métier le plus rapidement possible car chaque organisation adapte l’informatique à ses propres besoins et chaque environnement est différent. Je devrai également développer ma routine une fois que je me serai familiarisé avec la méthode Antarct-tech-ca ! J’aime le fait de pouvoir parcourir la base pour aller là où l’intervention à distance ne m’aidera pas. Je me promène en T-shirt, autant que je peux afin de m’habituer au froid. Cela se remarque. Les gens n’ont pas tardé à demander à mes collègues qui était ce type qui se promenait en T shirt par -20 ° C.  Vous me direz qu’il n’est pas difficile de se faire remarquer dans une foule de parkas rouges ?

C’était jusqu’à hier ! Une semaine à peine après mon arrivée à McTown, en quelques heures seulement, l’horizon a disparu dans une brume grisâtre et floue. Les vents se sont rapidement levés et un genre de blizzard s’est développé, emportant partout des flocons de neige glacée. Moins 33°C/moins 28°F. Cette fois, je mets une veste et une cagoule. J’ai oublié les lunettes et les larmes causées par le vent violent gèlent sur mes joues ! Pas bon. La courbe d’apprentissage est assez brutale ici. Cependant, j’apprends vite et j’ai configuré un « sac de blizzard » léger d’urgence, à emporter à tout moment !

Eric CHEVREUIL

Marine & Oceans
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La revue trimestrielle MARINE & OCÉANS est éditée par la "Société Nouvelle des Éditions Marine et Océans". Elle a pour objectif de sensibiliser le grand public aux principaux enjeux géopolitiques, économiques et environnementaux des mers et des océans. Informer et expliquer sont les maîtres mots des contenus proposés destinés à favoriser la compréhension d’un milieu fragile.   Même si plus de 90% des échanges se font par voies maritimes, les mers et les océans ne sont pas dédiés qu'aux échanges. Les ressources qu'ils recèlent sont à l'origine de nouvelles ambitions et, peut-être demain, de nouvelles confrontations.

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