Que perdrait la France avec la Nouvelle Calédonie ?

Le 12 décembre 2021, la Nouvelle-Calédonie a décidé de son avenir à l’occasion du troisième et dernier référendum d’autodétermination prévu par l’Accord de Nouméa du 5 mai 1998. Marine & Océans a demandé à une personnalité neutre connaissant bien ce territoire, notamment dans sa dimension maritime, de faire l’inventaire de ce qu’il représente. Explications. 

Que d’encre coulée sur le sujet et un archipel calédonien resté très « insolite » ! Que de médias qui accumulent sur lui un ensemble d’avis et ne le connaissent que trop peu ! Que d’énergies pour trouver une solution heureuse entre les droits d’une population autochtone, arrivée par la mer il y a 3.000 ans et ceux de « migrants » métropolitains, japonais, indonésiens, vietnamiens, australiens, néo-zélandais, polynésiens, wallisiens et futuniens, vanuatais, réunionnais, mahorais, caraïbes, européens, ou encore kabyles et africains du Nord, qui, sur près de deux siècles, ont construit, aimé et enrichi ce pays et en resteraient des « oubliés de l’histoire » ! Que penser, comme paradoxe discriminant, de celles et ceux, vivant et travaillant ici depuis bientôt 30 ans — enseignants, médecins, scientifiques, juristes, entrepreneurs, artisans de tous métiers … —, qui ne peuvent exprimer leur vote envers des instances qui décident de l’avenir du pays et aussi de leur fiscalité[1]

Un hot spot mondial de biodiversité

Ce pays insolite, de moins de 300 000 habitants, de la surface de la Slovénie, aux antipodes de la métropole, l’est aussi sur bien d’autres dimensions. Il est une anomalie géologique : c’est un morceau de manteau terrestre constitué de roches enrichies de métaux stratégiques, nickel, cobalt, chrome … Le lieu de plus de 20% des réserves mondiales de ces métaux, doté d’un industrie minière historique (quatrième producteur au monde, trois usines de rang mondial). Il est l’une des trois parties émergées, avec la Nouvelle-Zélande et Norfolk au sud, d’un morceau englouti du continent primitif Gondwana qui offre à sa géo-diversité terrestre et marine des caractéristiques totalement spécifiques. C’est l’un des 35 « hot spot » mondiaux de biodiversité terrestre, celui d’une végétation endémique et exceptionnelle. C’est la seconde barrière corallienne (1 600 km) et le plus grand espace lagonaire de la planète, des récifs secondaires et 30% des récifs pristines[2] avec autant d’espèces animales et végétales marines, dans un carré de 20 km de côté dans le grand lagon calédonien, que dans toute la Méditerranée[3]. C’est l’espace marin le plus diversifié de France, doté de 1 420 000 km2 de mers et d’océan avec fosses, rides, plaines abyssales, monts sous-marins, plateau continental, plateformes carbonatées, volcanisme d’arc et de points chauds, subduction, dorsale, bassins sédimentaires…, constituant le plus grand parc naturel marin national[4]. Cette géo-diversité est pleine de promesses et sa biodiversité profonde que l’on commence juste à appréhender est telle qu’une espèce sur deux en dessous de 500

mètres de fond est inconnue. Ce sont des espaces marins protégés : le Parc Naturel de la Mer de Corail de 1 300 000 km2, 15 000 km2 de récifs et de lagons inscrits au patrimoine mondial, et des réseaux provinciaux d’aires marines protégées particulièrement efficaces qui offrent à la France les possibilités chiffrées d’assurer ses engagements internationaux en matière de préservation de l’océan et de sa biodiversité.

Une charnière géostratégique

La Nouvelle Calédonie, c’est une base navale qui assure, avec ses grands voisins, la défense, la surveillance, l’aide humanitaire et le sauvetage sur plus de 22 millions de km2 d’océan, et la perspective d’une base scientifique, technologique et pédagogique marine de tout premier rang. C’est une charnière géostratégique, siège de la Communauté du Pacifique Sud, entre l’Australie, la Nouvelle-Zélande et les pays insulaires du Pacifique sud, à la croisée des routes transpacifiques de l’Amérique du Sud et du Nord jusqu’à l’océan Indien, aux portes de l’Asie (Japon, Corée, Chine, Indonésie, Singapour, Thaïlande, Vietnam) avec laquelle le territoire a tissé, grâce à la mine et au transport maritime, des échanges commerciaux fructueux. C’est un « Territoire d’innovation » labellisé PIA3[5] qui considère ses espaces océaniques comme le « terrain expérimental privilégié » d’une croissance bleue nouvelle, alliant développement, préservation environnementale et respect sociétal. C’est une position au centre de la Zone économique exclusive (ZEE) nationale (voir carte) sur un axe océanique et maritime (là où sont contigües nombre de ZEE), qui est un atout pour notamment intéresser l’Europe à l’indopacifique.

Une porte « culturelle » 

La Nouvelle-Calédonie, c’est aussi une porte culturelle ouverte sur l’indopacifique grâce à un « melting pot » humain d’origines, de cultures, de coutumes et de traditions multiples, toutes ayant la mer et l’océan comme dénominateur. Un potentiel de mixité intellectuelle et une culture littéraire et artistique qui brille dans tout l’Outre-mer. On citera l’Association des Écrivains de Nouvelle-Calédonie regroupant des auteurs de toutes origines, s’appuyant sur les « pionniers[6] » et sur une nouvelle génération porteuse de valeurs universelles[7] [8] pour un destin commun. C’est aussi un nombre important de très grands sportifs en football, rugby, natation et sports nautiques avec des champions de France, des champions du monde et des médaillés olympiques.

Et demain ?

Sur ce territoire insolite, qui porte bien des défis, que perdrait la France, à la suite de 30 ans d’efforts communs, sans l’imagination d’une relation nouvelle pour relever les enjeux majeurs de la connaissance et de la recherche scientifique, de l’innovation technologique, du développement durable, de la préservation et de la valorisation des ressources naturelles, de la gestion de ressources minérales clés toujours plus convoitées, de développements économiques, environnementaux, sociétaux équilibrés, de défense et de respect fondamental de valeurs humaines et culturelles, d’exemplarité et d’attractivité, de « bien-être », et aussi d’éthique …

Alors que tout est là, que perdrait la France, et la Calédonie aussi, de ne pas avoir su, ensemble, construire des projets en ces sens, à la hauteur d’un « chemin commun » à tracer et d’une « entente cordiale » qui reste encore à sceller ?


NOTES :

  1. Le gel du corps électoral a été défini dans les accords de Nouméa en 1998 à 10 ans de présence continue, dans une perspective, à l’origine, « glissante ». Ce gel « glissant » a été contredit en 2007 pour limiter les votants aux élections provinciales d’où sont issus les membres du Congrès à ceux qui vivent ici et sont arrivés avant le 8 novembre 1998 et pour les élections référendaires à ceux arrivés avant 1994.
  2. Non impactés par l’homme car à plus de 500 kms du premier point habité.
  3. Source IFRECOR.
  4. Parc Naturel de la Mer de Corail (PNMC).
  5. Le Programme d’investissements d’avenir (PIA) soutient des projets innovants et prometteurs dans des secteurs prioritaires, gnrateurs de croissance. Sa troisième phase (PIA3) en 2017 était dotée de 10 milliards d’€. 24 « territoires d’innovation » ont été retenus dont la Nouvelle-Calédonie, le seul ultramarin et le seul à porter les valeurs de la mer et de l’océan.
  6. Appolinaire Anova Ataba (1929-1966), premier écrivain kanak, Georges Baudoux (1870-1940), Francis Carco (1886-1958), Jean Mariotti (1901-1975)…
  7. « Sur cette terre de métissages et de contrastes, cette île de lumières, chaque auteur apporte son éclairage, sa personnalité et sa pierre, afin d’écrire ensemble une histoire littéraire unique et originale dans le Pacifique ».
  8. Salon International du Livre Océanien depuis 2003 en Nouvelle-Calédonie.
Lionel LOUBERSAC
Lionel LOUBERSAChttps://www.clustermaritime.nc/
Océanographe, fondateur et vice-président du Cluster maritime de Nouvelle-Calédonie.

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