Le Maroc entend devenir la première puissance Atlantique du continent africain

Par Gabriel Robin. Journaliste spécialiste des question géopolitiques

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Le Maroc appartient au cercle très fermé des pays qui bénéficient d’un double accès sur la mer Méditerranée et l’océan Atlantique. En Europe, la France et l’Espagne partagent cette caractéristique, et dans une moindre mesure la Grande-Bretagne grâce à Gibraltar. En Afrique, le royaume chérifien est le seul pays à jouir de cette configuration géographique avec un peu plus de 500 kilomètres de littoral méditerranéen et un peu plus 3 000 kilomètres de littoral atlantique. La zone côtière y concentre d’ailleurs les principales agglomérations du pays, les densités démographiques les plus élevées, ainsi que les principales infrastructures de communication qui y appuient les activités économiques essentielles au développement du pays.

Il n’est donc pas étonnant que le royaume nourrisse de plus en plus d’ambitions liées à l’économie de la mer. Il a désormais les yeux tournés vers l’océan, comme l’a démontré Mohamed VI, le 6 novembre 2023, lors du discours de célébration de la Marche verte, présentant une réorientation géostratégique de la politique maritime marocaine : « Si par sa façade méditerranéenne, le Maroc est solidement arrimé à l’Europe, son versant atlantique lui ouvre, quant à lui, un accès complet sur l’Afrique et une fenêtre sur l’espace américain. C’est la raison pour laquelle nous sommes déterminés à entreprendre une mise à niveau nationale du littoral incluant la façade atlantique du Sahara marocain. Nous sommes également attachés à ce que cet espace géopolitique fasse l’objet d’une structuration de portée africaine ».

Tout indique donc que le royaume entend exploiter le potentiel d’une façade atlantique africaine encore en grande partie en jachère. Elle regorge en effet notamment de ressources halieutiques, mais aussi d’opportunités concrètes pour de nombreux grands groupes français. La construction du grand port de Dakhla Atlantique, annoncée dès le 6 novembre 2015, s’inscrit dans le cadre de la stratégie portuaire 2030 établie par le ministère de l’Equipement et des transports. Ce port aura des dessertes par navires porte-conteneurs avec des relations « fédérisées » sur les grands ports majeurs de la région, nationaux et étrangers, notamment Casablanca, Tanger-Med et Las Palmas, et permettra aussi d’approvisionner l’économie régionale en intrants industriels, énergétiques et en biens de consommation.

Du Cap de Bonne-Espérance au Cap Spartel 

La stratégie atlantique marocaine s’inscrit aussi dans une logique africaine renouvelée, repensée à l’aune de la signature de l’Accord de libre-échange avec les États-Unis et de la mise en place du Processus des États Africains de l’Atlantique (PEAA). Né à Rabat en 2009, le PEAA a été ressuscité en 2020 avec pour horizon l’idée d’aller « du Cap de Bonne-Espérance au Cap Spartel ». Représentant 46 % de de la population africaine pour 55 % du PIB continental, cet espace sera déterminant dans les échanges commerciaux du monde de demain. Le programme d’action de ce plan s’articule autour de l’économie bleue et du développement durable de l’environnement marin, comprenant aussi un volet sécuritaire.

Car, l’Atlantique africain présente aussi de nombreux défis sécuritaires qui doivent s’accompagner d’une augmentation des capacités de projection militaire. La piraterie, le terrorisme, la pêche illégale et les trafics sont autant d’enjeux pour les pays disposant d’une zone économique exclusive étendue. Cette mise à niveau du littoral par la construction d’infrastructures et de la marine royale par le renforcement de la flotte sont les conditions sine qua non de cette tentative de développement sud-sud originale, dans laquelle l’Europe et singulièrement la France auront de nombreuses opportunités économiques à saisir.

La réflexion marocaine vient d’ailleurs d’un ressenti légitime d’être souvent perçu comme situé dans la périphérie de la géographie africaine du nord alors que sa façade atlantique lui offre la possibilité de désenclaver les pays situés à l’est, à commencer par ceux du Sahel qui sont actuellement dans une situation politique et militaire incertaines. Ce projet Atlantique marocain est donc un facteur d’intégration régionale et développement pour les États du Sahel. Cela passera nécessairement par la construction d’une flotte nationale de marine marchande. Alors que 80 % du commerce mondial se fait par voie maritime, l’Afrique ne concentre que 6 % du trafic mondial. De quoi susciter l’intérêt de nos armateurs et de nos entreprises…

Gabriel Robin collabore notamment à Atlantico et Causeur. Il a publié Le Non du Peuple (Cerf) en 2019. 

Marine & Oceans
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La revue trimestrielle MARINE & OCÉANS est éditée par la "Société Nouvelle des Éditions Marine et Océans". Elle a pour objectif de sensibiliser le grand public aux principaux enjeux géopolitiques, économiques et environnementaux des mers et des océans. Informer et expliquer sont les maîtres mots des contenus proposés destinés à favoriser la compréhension d’un milieu fragile.   Même si plus de 90% des échanges se font par voies maritimes, les mers et les océans ne sont pas dédiés qu'aux échanges. Les ressources qu'ils recèlent sont à l'origine de nouvelles ambitions et, peut-être demain, de nouvelles confrontations.

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