Les réserves de biosphère marines

* PAR NATHALIE DE POMPIGNAN, consultante en sciences écologiques auprès de l’Unesco.

Désignant tout d’abord des territoires de grande valeur et à forts enjeux environnementaux, le concept de réserve de biosphère s’est développé dans la première moitié des années soixante-dix, comme composante essentielle du Programme intergouvernemental de l’Unesco sur l’Homme et la Biosphère (Man and Biosphere MAB). Si leurs richesses écologiques, paysagères et culturelles sont, toujours, des critères indispensables à leur désignation, la présence et l’implication des populations locales sont désormais prises en considération. En effet, ces sites sont, avant tout, la matérialisation d’une approche visant à résoudre l’une des questions les plus essentielles qui se posent aujourd’hui : la recherche d’un équilibre durable entre laconservation de la diversité biologique, la promotion du développement humain et la préservation des valeurs culturelles qui leur sont associées. Pour y répondre, chaque réserve, qu’elle soit terrestre, côtière et marine, doit satisfaire à un minimum de conditions avant d’être proposée par les gouvernements nationaux et reconnue par l’Unesco. Elle doit avoir trois fonctions interconnectées : con – servation des paysages, des écosystèmes, des espèces animales et végétales ainsi que des ressources génétiques; développement économique et humain durable; et appui logistique destiné à faciliter l’information, l’éducation et la sensibilisation du public, la surveillance continue et la recherche scientifique.

Dauphins en mer d’Iroise

Mettre en application le concept de réserve de biosphère

Elle doit, également, proposer un zonage approprié : une ou plusieurs aires centrales, de types, de formes et de surfaces variables, légalement protégées, destinées à conserver la biodiversité et à mener des activités de recherche à faible impact. Puis, une zone tampon, située autour des aires centrales, et utilisée pour des activités d’éducation et de sensibilisation, et, en dernier lieu, une zone de transition, où les différents acteurs (communautés locales, organismes publics, scientifiques, organisations non gouvernementales, groupes économiques et culturels) travaillent ensemble à tester et promouvoir les approches de conservation et développement durable dans leur région. Ce dernier point est caractéristique de l’originalité de l’ensemble des réserves de biosphère. Il est au coeur de deux textes adoptés en mars 1995 par une résolution de la conférence générale de l’Unesco, la Stratégie de Séville et le Cadre statutaire qui ont cherché, tous deux, à promouvoir les réserves comme des lieux d’expérimentation du développement durable et comme des espaces conciliant populations et nature reliant les savoirs locaux à la science. Les communautés locales sont, dorénavant, appelées à intervenir sur les questions de planification et d’aménagement, afin d’en retirer des bénéfices et devenir, dans une certaine mesure, gardiennes de leur biodiversité.

Ainsi, dans l’archipel des Tuamotu, un seul atoll, celui de Taiaro, avait été désigné, dès janvier 1977, réserve de biosphère. Or, il était inhabité et ne répondait plus aux critères requis. La réserve de biosphère a donc été étendue aux six autres atolls de la Commune de Fakarava, en concertation avec les populations locales et en définissant des objectifs con formes. En octobre 2006, l’ensemble de ces atolls fut donc classé réserve de biosphère. Comment mettre le concept de réserve de biosphère en application? Le Cadre statutaire fixe les règles du jeu. La réserve de biosphère doit définir une planification et une gestion adéquates, mobiliser ses financements auprès de bailleurs internationaux et privés et déterminer sa propre organisation, en tenant compte des principaux groupes d’intérêts. Le concept est très souple, car il s’agit de faire travailler ensemble une grande diversité d’acteurs.

Retour de pêche sur un atoll de Polynésie française (PHOTO : PHILIP PLISSON)

C’est bien, là, un des principaux défis des réserves de biosphère marines : ces dernières regroupent des écosystèmes terrestres et marins, avec des aires centrales protégées établies dans des zones marines con – tiguës et dans des zones terrestres, sous la responsabilité de différentes juridictions. C’est le pro pre des zones à écotone terre-eau. Et, trop souvent, leur gestion est entravée par le manque d’action concertée. On a dû, alors, trouver les moyens d’appliquer à ces sites la notion de réserve de biosphère et mettre au point des procédures pour coordonner le travail des organismes intervenant dans la gestion des deux zones. Dans le cas de la mer d’Iroise, la gestion est assurée par le Parc naturel régional d’Armorique, en concertation avec le Parc naturel marin d’Iroise. L’archipel de la Guadeloupe doit, quant à lui, concilier la forêt tropicale humide du Parc national de la Guadeloupe et l’aire marine de la réserve marine naturelle de Grand Cul de Sac, avec ses divers régimes administratifs. Et, la réserve de biosphère de Fakarava a choisi de confier sa gestion à un comité, présidé par le maire de la commune, et s’appuyant sur une association, loi de 1901, qui informe et coordonne les acteurs.

Transport de palmes aux Antilles (PHOTO : PHILIP PLISSON)

D’une façon générale, améliorer les conditions de vie locales, promouvoir des sources de revenus diverses, éviter le développement d’activités prédatrices, développer un tourisme responsable, tout en préservant les milieux naturels, font partie des grands enjeux de ces zones insulaires. Il ne faut pas oublier qu’elles sont aussi des espaces de surveillance et de recherche permettant d’améliorer les connaissances scientifiques sur la faune et la flore, leur évolution et la diversité génétique très riche des milieux marins. Un examen périodique de l’Unesco destiné à évaluer l’état et le fonctionnement de chaque réserve a lieu tous les dix ans. Il peut arriver que, dans certains cas, le site ne réponde plus aux critères et perde sa désignation.

Zones marines protégées : seulement 1,40% des océans

Autre point fort des réserves de biosphère marines : en raison de leurs spécificités, partager expériences et savoir-faire, au sein d’un réseau mondial, entre scientifiques, dirigeants, politiques, associations, administrateurs et communautés locales est particulièrement important et permet d’identifier des modèles fonctionnant bien, et dont l’expérience profitera à tous. En effet, rechercher un équilibre durable n’est nulle part plus délicat que dans les milieux marins et côtiers. Dans le monde entier ces milieux subissent des transformations rapides liées aux activités humaines. Il faut bien prendre en considération que près de 60 % de la population humaine vit dans la zone côtière et que les pressions exercées sur la diversité biologique marine ne cessent d’augmenter. Les habitats marins majeurs se dégradent chaque jour davantage, sous des formes très diverses, allant de la surexploitation des ressources océaniques, à la construction d’infrastructures urbaines et touristiques, en passant par l’accumulation de tous types de polluants. Près de 10 % des récifs coralliens ont été détruits et plus de 58 % sont menacés de destruction. À ce chiffre alarmant, s’ajoute celui de la dégradation des grands estuaires et de la disparition de plus de 50 % des mangroves qui sont des milieux littoraux essentiels de la vie marine.

Plongée dans les eaux des Antilles (PHOTOS : PHILIP PLISSON)

Par ailleurs, le déficit de connaissances sur les espèces marines est considérable, comme la faiblesse des programmes de recherche sur les écosystèmes marins (inventaires et fonctionnements). Selon les estimations actuelles, on connaît environ 270000 espèces marines, alors que, d’après l’UICN, il existerait entre 1 et 10 millions d’espèces encore inconnues. Il convient de rappeler que les États s’étaient engagés, lors de la Conférence des Nations unies sur l’Environnement et le Développement, en 1992, à Rio de Janeiro, à développer la protection, l’utilisation rationnelle et la mise en valeur des ressources biologiques de la mer (chapitre 17 de l’agenda 21, consacré à la protection des océans, de toutes les mers et des zones côtières).

L’anse des Salines à la Martinique (PHOTOS : PHILIP PLISSON)

Le Sommet mondial sur le développement durable, en 2002, avait aussi recommandé la création d’un réseau représentatif d’aires protégées marines d’ici à 2012 pour contribuer à réduire fortement la perte de la diversité biologique au niveau mondial. Or, aujourd’hui, les zones marines protégées représentent seulement 1,40 % des mers et océans du globe alors que ceux-ci couvrent plus de 70 % de la surface de la planète. La plupart des scientifiques et organismes internationaux impliqués dans la protection et la gestion des océans considèrent que 10 à 15 % du milieu marin mondial devrait être protégé pour assurer sa conservation. La France n’est, d’ailleurs, pas exclue de cette tendance générale. Couvrant les trois océans, avec une forte représentativité des habitats marins, elle dispose d’atouts essentiels : un espace maritime de plus de 11 millions de kilomètres carrés et une richesse biologique marine exceptionnelle en Outre-Mer, avec près de 20 % des atolls coralliens du monde en Polynésie française. Malgré ce patrimoine unique, les zones de protection marine y sont dramatiquement insuffisantes.

La ville de Saint-Pierre / Saint-Pierre-et-Miquelon (PHOTO : PHILIP PLISSON)

Et pourtant, les outils existent. En ce sens, les réserves de biosphères occupant des sites côtiers ou des îles pourraient servir de modèles car elles sont bien plus que de simples aires protégées. Elles constituent une réponse à la dégradation des écosystèmes et peuvent protéger des habitats et des espèces clés. Elles peuvent faciliter la reconstitution des zones de pêche et approfondir la connaissance scientifique des écosystèmes marins et des manières de leur venir en aide. Aires multifonctionnelles, à présence humaine, elles peuvent favoriser la gestion participative et devenir de véritables sites de démonstration et d’apprentissage du développement durable. Dans ce contexte, incorporer des zones de protection marine et terrestre à des réserves de biosphère dans des régions côtières et insulaires devrait être encouragé, afin de créer un vaste système de zones marines protégées et gérées de manière efficace, durable et équitable. Pour y parvenir et préserver le milieu marin, la forte volonté commune et convergente des États et citoyens du monde est plus que jamais indispensable. Il reste à aller vite.

Article publié sur le site de Marine & Océans en septembre 2011

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