Syrie : selon Alain Chouet, « La communauté internationale – en l’occurrence l’ONU – ne s’engagera pas dans une réaction de force sur des bases aussi incertaines »

Selon l’opposition syrienne, 1300 personnes seraient mortes mercredi (NDLR: le 21 août) dans une attaque à l’arme chimique perpétrée par l’armée. Suite à cela, le ministre des Affaires étrangères Laurent Fabius a déclaré jeudi (22 août) sur RMC qu’une « réaction de force » menée par les Etats-Unis, le Royaume-Uni, la France « et pourquoi par la Russie » s’imposait, tout en excluant d’envoyer des troupes au sol. Ces mots trahissent-ils l’impuissance et l’embarras des puissances occidentales face aux événements syriens ? Pourquoi ?

Il faudrait d’abord vérifier l’authenticité de cette information. On a affaire en Syrie à une véritable guerre civile compliquée de nombreuses interventions étrangères et de l’implication de volontaires djihadistes venus du monde entier. C’est évidemment un contexte propice à tous les excès dont les deux parties sont tout à fait capables. Mais cela ne justifie aucunement la façon dont la presse et les politiques occidentaux, en particulier français, traitent l’information en provenance de Syrie.

Les informations – souvent de source unique – en provenance de l’opposition sont immédiatement acceptées pour argent comptant sans aucune analyse, regard critique ni recherche de confirmation ou de recoupement. Toute exaction est immédiatement imputée au régime sans la moindre vérification tandis que celles dont il est avérée qu’elles ont été commises par des mercenaires djihadistes ou des bandes criminelles locales (exécutions sommaires en base confessionnelle, enlèvement et meurtre de religieux ou de journalistes, pillages et rackets) sont systématiquement ignorées et passées sous silence.

Il est clair que la communauté internationale – en l’occurrence l’ONU – ne s’engagera pas dans une « réaction de force », même limitée à une zone d’exclusion aérienne, sur des bases aussi incertaines et l’appel de M. Fabius a de fortes chances de rester lettre morte. Les Etats-Unis par la voix de leur chef d’état major général ont déjà fait savoir leur réticence à tout engagement militaire. L’allié britannique – après avoir stimulé l’intransigeance française – est devenu étrangement silencieux. Ni la Chine ni la Russie ne modifieront leurs positions sur de simples informations non vérifiées de l’opposition syrienne. Et on peut d’ailleurs se demander quelle opposition tant celle-ci est morcelée et divisée en factions antagonistes.

La possibilité d’une intervention venant de l’extérieur semblant proche de zéro, peut-on s’avancer à dire que Bachar al-Assad a déjà gagné la partie ? Pourquoi ?

Il ne faut pas ainsi personnaliser le problème. Bashar el-Assad n’est que la partie émergée et symbolique d’un iceberg communautaire syrien très complexe. La Syrie n’est ni la Tunisie ni l’Égypte. Le pouvoir syrien a derrière lui près de 2 millions d’alaouites (minorité dissidente du chiisme promise au génocide par les oulémas salafiste depuis le 14è siècle) mais aussi les autres communautés minoritaires du pays (ismaéliens, druzes, chiites et chrétiens) qui estiment leur sort lié à celui de la communauté alaouite. Soit en tout près de 5 millions de personnes qui estiment se battre pour leur survie.

Cela fait deux ans que nos politiques occidentaux annoncent la chute imminente (mais sans cesse différée….) de Bashar el-Assad. Ceci traduit une ignorance profonde du contexte local. Pour autant, Bashar el-Assad n’a pas « gagné la partie ». Au mieux, pour lui et les minorités de Syrie, il ne l’a pas perdue.

Même si l’armée syrienne parvient à vaincre l’ensemble des poches de résistance encore existantes, le conflit pourrait-il continuer de manière larvée ? Si oui, combien de temps cet enlisement pourrait-il durer ?

L’étendue des dégâts matériels et des destructions, l’extension des exactions et des massacres depuis maintenant plus de deux ans font que plus rien ne sera jamais comme avant et que des contentieux s’ouvrant sur des besoins et désirs de vengeance sont déclenchés pour plusieurs générations qui peineront à se relever des ruines. La Syrie est entrée dans une phase de guerre civile à la libanaise qui peut durer des décennies avec des périodes plus ou moins longues de rémission « sans vainqueur ni vaincu », comme disent les Libanais, mais où il n’y a en fait que des vaincus.

Si le maintien durable du régime de Bachar al-Assad s’imposait de manière indiscutable, le pays serait-il mis au ban de la communauté internationale, ou bien le réalisme politique amènerait-il les autres États à « oublier » cette période de guerre civile ?

Les Occidentaux ont en général la mémoire courte et une certaine myopie. Qui se souvient encore des Khmers rouges ? Qui se soucie aujourd’hui du régime Frère Musulman qui s’est emparé du pouvoir au Soudan en 1989, qui a ruiné le pays, provoqué la sécession des provinces chrétiennes du sud, qui massacre des dizaines de milliers de personnes au Darfour chaque année, dont le Général-Président – pourtant sous mandat de la Cour Pénale Internationale – parade ici et là dans les conférences internationales ?

Si – ce qui n’est pas sûr – le régime syrien résiste à la pression militaire des bandes djihadistes, à la pression financière des pétromonarchies wahhabites qui ont juré sa perte et à la pression politique d’un Occident pétri de « bonnes intentions », il est effectivement probable que la realpolitik prévaudra. Mais la France aura du mal à faire oublier son rôle de moteur dans le soutien à le rébellion et le fait qu’elle a brûlé en 2011 ce qu’elle adorait en 2009….

Interview publiée le 26 août 2013 sur le site www.atlantico.fr et sur le site www.espritcorsaire.com 

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