La croisière s’envole : le marché des croisières plus dynamique que jamais

Les focus de l’été

Après un ralentissement lié au Covid, le marché de la croisière est reparti, plus dynamique et plus porteur que jamais. Présentation.

Par Alexia Damiano,

Etudiante en première année à l’ILERI (Institut Libre de Relations Internationales et des Sciences Politiques), stagiaire à la rédaction de Marine & Océans.

Depuis une dizaine d’années, le marché de la croisière a su se démarquer par un développement constant. S’il a été mis à mal par la période Covid, il a su démontrer tout son potentiel économique en revenant, en moins de trois ans, à ses rendements mondiaux d’avant crise. Toujours aussi attractif, si ce n’est même plus, la clientèle ne faisant qu’augmenter avec l’impact des réseaux sociaux. Pour 2023, la Cruise Line International Association (CLIA https://cruising.org/en-gb/) s’attend à une augmentation de 6 % par rapport à 2019, et prévoit une augmentation de 33 % pour 2027.

Les croisières ont d’abord été vues comme une prestation de luxe destinée à la part la plus riche de la population. Les compagnies ont toutefois su diversifier leur gamme afin de proposer une offre plus accessible à la classe moyenne. Le stéréotype du croisiériste retraité et aisé semble se défaire peu à peu. Bien qu’un tiers des passagers soient toujours âgés de plus de 60 ans, les différents rapports de la CLIA montrent que les clients rajeunissent, probablement séduits par les nouvelles prestations proposées par les compagnies.

Toujours plus gros, toujours plus grand

Fort d’un impact économique de 155 milliards de dollars en 2019, le secteur représente environ 1,2 million d’emplois. Mais il ne s’arrête pas seulement au personnel de bord ou de port. La construction navale est un autre secteur à prendre en compte. Au moment de la crise Covid, il a joué un rôle moteur, notamment en Europe, avec plus de 12,3 milliards de dollars dépensés par les compagnies de croisières pour la construction de leurs navires, soit le plus gros investissement économique pour 2021. Le monopole est détenu par les Occidentaux, avec l’Italien Fincantieri https://www.fincantieri.com/en/ leader mondial pour la croisière, le Français Chantiers de l’Atlantique https://chantiers-atlantique.com/ ou encore l’Allemand Meyer Werft https://www.meyerwerft.de/en/index.jsp . Le marché asiatique se développe progressivement, surtout avec la China State Shipbuilding Corporation https://www.chinaships.com/ , plus grand constructeur naval mondial. Spécialisée dans l’industrie de défense et de sécurité, le groupe souhaite élargir sa gamme pour répondre à la demande du marché chinois. Il doit toutefois faire face à des exigences qualitatives et esthétiques, propres aux paquebots de croisières, auxquelles les constructeurs occidentaux sont déjà habitués. Le 6 juin dernier, il mettait à flot son premier bateau construit en Chine en partenariat avec Fincantieri, l’Adora Magic City, pour effectuer une batterie de tests dans l’espoir de le livrer fin 2023.

À l’image de l’Adora Magic City, les nouveaux navires de croisières semblent toujours dépasser l’imaginable, avec des capacités toujours plus impressionnantes. Le plus gros, l’Icon of the Seas de chez Royal Caribbean International, peut embarquer jusqu’à 7600 passagers. Parcs aquatiques géants, tyroliennes, simulateur de surf…, de nombreuses compagnies ont fait le choix de la démesure pour offrir aux voyageurs des souvenirs inoubliables, à bord de ce que certaines critiques appellent des « HLM flottants ». D’autres compagnies, comme Ponant  https://www.ponant.com/ ou la Compagnie Française de Croisière https://www.cfc-croisieres.fr/accueil/ , misent sur une clientèle différente en faisant le choix de bateaux plus petits et plus classiques, offrant une prestation plus luxueuse, plus intimiste, orientée sur l’enrichissement culturel.

Impact environnemental

Bien que le marché soit extrêmement dynamique, il fait face à un défi majeur : la question écologique. Peu mise en avant car peu flatteuse pour l’image que se donnent les compagnies, c’est pourtant une réalité dénoncée par de nombreuses ONG : les bateaux de croisières polluent énormément, 2,6 fois plus que l’avion selon Greenpeace https://www.greenpeace.fr/ .

Un grand nombre de bateaux sont aujourd’hui équipés de moteurs utilisant comme carburant du fioul lourd, du MGO (Marine Gasoil) ou VLSFO (Very Low Sulphur Oil). Les émissions produites contiennent une forte teneur en oxyde d’azote et oxyde de soufre, un polluant très dangereux pour la santé et l’environnement. Il augmente le risque de maladie cardiovasculaire et participe à l’acidification des océans. D’après un rapport de l’Agence européenne environnementale https://www.eea.europa.eu/en , les bateaux sont également les plus gros émetteurs de carbone suie (10 tonnes/bateau/an). Il s’agit d’une nanoparticule qui, au contact du soleil, vient absorber les radiations solaires et réchauffer l’atmosphère, impactant particulièrement la banquise et les glaciers. Certains bateaux sont équipés de scrubber, des filtres à eau permettant de nettoyer les émissions, mais cette eau chargée en métaux lourds est rejetée dans les milieux marins et peut générer des cancers chez les mammifères. Si certains États comme la France ont interdit cette pratique dans leurs eaux, ce n’est pas le cas partout. Les paquebots posent d’autres problèmes sur la biodiversité. Même si les radars permettent d’éviter certains animaux, les collisions restent fréquentes et sont la principale source de mortalité chez les baleines en Méditerranée. Ils produisent aussi une importante pollution sonore avec les vibrations de la coque et certaines peintures utilisées se révèlent être toxiques.

Le GNL, une solution de transition

Face aux restrictions posées par les États et pour limiter leur empreinte carbone, les compagnies n’ont pas d’autre choix que d’abandonner le fuel lourd et de se tourner vers d’autres types de propulsion. Le gaz naturel liquéfié (GNL) par exemple, a depuis quelques années, gagné en popularité. À première vue, c’est une solution efficace, le GNL émet très peu d’oxyde d’azote et de soufre. Seulement nous sommes bien loin d’une solution miracle, comme tentent de le montrer certaines compagnies de croisières. Le problème du GNL provient des fuites de méthane auxquelles il est sujet. Celles-ci peuvent se produire lors de l’extraction, mais aussi lors de la consommation du gaz, car la plupart des moteurs ne peuvent les bloquer. Le méthane est un gaz tout aussi polluant puisqu’il piège encore plus la chaleur que le dioxyde de carbone. D’après l’International Council on Clean Transportation https://theicct.org/ , l’utilisation du GNL permettrait de réduire dans les meilleures conditions 15 % des émissions. Ce carburant peut donc difficilement être envisagé comme une solution à long terme, mais plutôt transitoire.

Pour proposer des bateaux limitant au maximum leurs émissions à toutes les étapes de leur utilisation, certaines technologies se développent : propulsion hybride, alimentation électrique à quai, biofuels… La société norvégienne Ulstein https://ulstein.com/ va plus loin en annonçant vouloir créer pour certains de ses bateaux, des réacteurs au thorium, un métal faiblement radioactif. Ulstein fait ainsi la promesse d’une production d’électricité sans émission carbone, mais surtout sans déchet radioactif.

Limiter les destinations ?

Certaines compagnies ont opté pour le retour à la voile, comme TransOceanic Wind Transport (TOWT) https://www.towt.eu/  dont les futurs cargos-voiliers destinés principalement au transport de marchandises réserveront quelques cabines à des passagers, Ponant avec son voilier Le Ponant, ou encore Orient Express https://www.orient-express.com/fr/ et les Chantiers de l’Atlantique, qui début 2023, ont annoncé le lancement pour 2026 de l’Orient Express SilenSeas. Il s’agirait du plus gros voilier du monde, un trois-mâts à propulsion au GNL pouvant accueillir 120 voyageurs. Afin de limiter leur impact sur les écosystèmes ou de participer à l’effort général de préservation de la planète, des compagnies ont mis en place certaines pratiques : réduction de la vitesse de navigation dans les zones de passages animaliers, mise au point de technologie anti-vibrations, financement de la restauration des bancs de coraux ou encore non-utilisation d’ancres dans les zones sensibles.

Le Commandant Charcot, navire de croisière de la compagnie du Ponant, ici en Arctique.

Dans ce contexte, le développement de nouveaux itinéraires vers des espaces préservés, comme l’Arctique et l’Antarctique, peut poser question. Encore peu exploités, ces espaces sont déjà fragilisés par le réchauffement climatique, et vouloir y développer le tourisme, alors même que l’impact du voyage est loin d’être insignifiant, semble hasardeux. Ponant, l’un des leaders sur ce marché, met en avant toutes les précautions prises pour limiter l’impact de ses croisières sur ces milieux : limitation de la vitesse ou de la pollution lumineuse, normes antipollution, nombre limité de visiteurs, distances de sécurité avec la faune… Est-ce suffisant ? Et surtout, cela le sera-t-il lorsque le nombre de touristes débarqués sur la banquise aura encore cru, sachant qu’il a déjà doublé entre 2014 et 2019 pour atteindre 74000 personnes.

Iles flottantes ?

Si les prévisions portent à croire que la croisière est toujours promise à un bel avenir, son impact écologique reste un vrai sujet et une solide contrainte pour les armateurs. D’après Daniel Skjeldam, PDG du groupe Hurtigruten https://www.hurtigruten.fr/, il est nécessaire pour les compagnies d’agir rapidement et de ne pas avoir peur de dépenser pour gagner en durabilité, un sujet qui semble encore mettre mal à l’aise certains dirigeants de compagnie.

Alors à quoi ressemblera la croisière dans 50 ans ? Si certains croient qu’il sera tout à fait possible d’allier croissance économique et respect de l’environnement, avec toujours plus de voyageurs et des bateaux toujours plus gros, la tendance actuelle paraît indiquer l’inverse. Les compagnies montrant aujourd’hui des résultats écologiques (et économiques) favorables s’orientent vers des bateaux plus petits avec moins de passagers à bord, une ambiance plus simple et des croisières axées sur la découverte, loin de la démesure proposée par les plus gros.

À terme, on peut imaginer que sans amélioration, ce pourront être, à l’image de Venise, les villes et leur population qui, ensemble, à travers le monde, rejetteront les paquebots et leurs passagers.

Rien toutefois n’exclut la possibilité que d’autres formes de tourisme puissent venir voler la vedette aux géants des mers, que les passagers, citoyens du monde, aujourd’hui nomades, choisissent, demain, de se poser et de passer d’une île, artificielle, à une autre, à l’image de celles que pense et commence même à réaliser l’architecte Jacques Rougerie.

Crédits photo : Unsplash/John Bell.

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