RETOUR SUR – « Air cocaïne »: les pilotes entre espoir et désarroi avant leur procès à Saint-Domingue

Pilote chevronné, cet ancien de la marine nationale qui a bifurqué vers le transport civil puis l’aviation d’affaires, est depuis huit mois assigné à résidence non loin de l’aéroport de Punta Cana, après 15 mois de prison, dont « 10 jours de cachot », pour son implication présumée dans un vaste trafic de stupéfiants entre les Caraïbes et la France.

L’affaire surnommée « Air cocaïne », qui doit être jugée devant le tribunal de Saint-Domingue pendant cinq jours à partir de lundi, est un curieux scénario sous les Tropiques que magistrats et enquêteurs tentent de démêler des deux côtés de l’Atlantique.

« On peut supposer que côté dominicain, certains ne sont pas pressés que le procès se tienne et qu’on cherchera peut-être à manoeuvrer pour obtenir un nouveau renvoi », modère Pascal Fauret, joint par l’AFP. Il y en a déjà eu deux. « Je ne le supporterai pas. Je ne veux pas passer ma vie ici », complète ce père de famille qui aura 55 ans mardi.

M. Fauret, son co-pilote Bruno Odos, leur passager Nicolas Pisapia et une quatrième personne, le « broker » Alain Castany, un apporteur d’affaires dans le jargon, ont été interpellés sur le tarmac de la station balnéaire dominicaine le 19 mars 2013, alors qu’ils s’apprêtaient à décoller pour la France.

A bord du Falcon 50, propriété du lunetier français Alain Afflelou mais affrété par une société de location, SN-THS, basée à Bron près de Lyon, se trouvaient 680 kg de cocaïne répartis dans 26 valises, selon les autorités dominicaines. Dans la foulée, une quarantaine d’agents des douanes, de la police anti-drogue et des services migratoires de l’île étaient aussi interpellés.

— ‘L’histoire s’est écrite sans nous’ —

« On a été arrêté dans un gros coup de chalut qui devait emporter tout un réseau », souligne à l’AFP Bruno Odos qui, comme son collègue, jure n’avoir jamais rien su du contenu des valises.

Lundi, ils seront 14 dans le box: les quatre Français qui risquent, selon un avocat, jusqu’à 25 ans de prison, un civil et neuf militaires.

A mots couverts, les pilotes et leurs proches dénoncent une mise en scène destinée à redorer le blason d’une partie de l’appareil sécuritaire local: « Nous n’avons jamais été auditionnés par les Dominicains. Seulement 10 minutes par la DEA (agence anti-drogue, ndlr) américaine. L’histoire s’est écrite sans nous ».

Sur le rôle des autres Français, MM. Fauret et Odos affirment qu’ils ne connaissaient pas M. Pisapia, « un client courtois, silencieux, ponctuel », avant une série de vols entamée avec lui en 2012. Quant à M. Castany, il était une personne connue à l’aéroport du Bourget mais leurs relations se limitaient jusqu’alors à « bonjour, bonsoir ».

Ont-ils péché par négligence ?

« Forcément, après, on peut se dire +ouh là là, ce n’est pas normal+; mais dans l’autre sens, il n’y avait rien non plus de spécial. L’aviation d’affaires est un milieu particulier. (…) On ne se bouche pas les yeux non plus mais il n’y avait rien d’exceptionnel », souffle Pascal Fauret.

Sur cette île prisée des touristes, l’enjeu crucial pour les pilotes sera d’éclaircir aux yeux du tribunal la nature du vol du Falcon. Privé ou commercial ?

L’accusation soutient la première hypothèse. Les pilotes et leurs proches clament le contraire, arguant qu’en vertu de la réglementation internationale, la responsabilité du contrôle des bagages relevait des autorités locales et non de l’équipage.

— Soupçons dès 2012 à Saint-Tropez —

« Je ne souhaite qu’une chose, c’est rentrer chez moi », lâche Bruno odos. « Je suis épuisé par cette lenteur mais je ne veux pas que cet énorme gâchis ne devienne une catastrophe. »

En France, l’enquête ouverte à Paris, puis transférée à Marseille, a démarré après l’interception de l’avion en République dominicaine. Mais les gendarmes avaient été mis, dès janvier 2013, sur la piste de « comportements suspects » de passagers d’un Falcon 50 ayant atterri un mois plus tôt à Saint-Tropez.

Le 9 décembre 2012, un douanier en poste à Toulon, soupçonné aujourd’hui de complicité, était allé accueillir l’avion, avec à son bord Pascal Fauret, Bruno Odos et Nicolas Pisapia. Il avait fait rentrer sur le tarmac deux véhicules qui avaient emporté dix valises déchargées de l’appareil.

Selon l’enquête, deux autres déchargements identiques avaient eu lieu en 2012 et un autre était prévu le 18 mars 2013.

Un homme d’affaires, Franck Colin, a reconnu avoir affrété l’avion mais assure qu’il ignorait « l’objet réel des périples ». Mis en examen, notamment sur la base d’écoutes téléphoniques, il est incarcéré à la prison de Luynes (Bouches-du-Rhône). Également placés en détention, les deux patrons de la SN-THS ont depuis été libérés sous contrôle judiciaire.

Le 23 février, la juge d’instruction marseillaise s’est rendue en République dominicaine, accompagnée d’un expert aéronautique, pour entendre les deux pilotes, qui le réclamaient depuis des mois. Mais à quelques jours de leur procès, ils ont préféré garder le silence, la magistrate française étant assistée par le procureur local.

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