Vice-amiral Christophe Prazuck, Commandant de la Force maritime des fusiliers marins et commandos

Sur les 2 500 fusiliers que compte la Marine nationale, 500 portent le béret vert, héritage d’une filiation britannique encore prégnante et sésame pour des opérations à haut risque. Triés sur le volet, les commandos Marine sont de tous les combats. De la poussière afghane à la mer des Caraïbes en passant par les déferlantes australes ou la mousson du Golfe d’Aden. Le point sur ces marins hors normes avec le vice-amiral Christophe Prazuck, commandant la Force maritime des fusiliers marins et commandos et futur Directeur du personnel militaire de la Marine.

Commandos Marine à bord de leur ETRACO (PHOTOS : Marine Nationale)

Dans quelles opérations retrouve-t-on des fusiliers marins et commandos et à quelle fréquence ?

En plus de leurs missions habituelles – essentiellement la protection des sites et équipements stratégiques de la marine pour les fusiliers marins – les unités de la FORFUSCO1 sont sollicitées pour les opérations aéronavales, comme la lutte contre la piraterie, les opérations spéciales pour les commandos, qui interviennent alors sous l’égide du Commandement des Opérations Spéciales, et enfin l’action de l’Etat en mer. La lutte contre le narcotrafic fait par exemple l’objet de nombreuses contributions, avec des interceptions fréquentes dans l’arc antillais et en Méditerranée, où des Go-Fast sont régulièrement appréhendés. Leur cœur de métier, c’est avant tout l’action en mer et depuis la mer. Leur taux d’engagement reste élevé : 130 jours d’absence en moyenne pour un fusilier marin, 160 pour un commando, et beaucoup plus pour certains d’entre eux qui maîtrisent des savoir-faire rares.

Le retrait des troupes françaises d’Afghanistan, la baisse des actes de piraterie, la multiplication des sociétés privées spécialisées dans la protection de navires pourraient-elles provoquer une baisse de ce rythme ?

Le nombre d’Equipes de Protection Embarquées (EPE) sur des navires français n’a fait qu’augmenter depuis leur création. Par ailleurs, la protection de certains navires, en raison de la nature de leur chargement ou de leurs missions, est une mission essentiellement régalienne. C’est par exemple le cas des navires océanographiques, des gaziers ou des câbliers. D’une manière plus générale, la globalisation a pour conséquence directe la maritimisation des échanges entre les pays. La protection de ces flux est donc stratégique et c’est l’une des missions essentielles de la marine. Un deuxième constat : l’apparition et le développement de menaces asymétriques contre ces flux, y compris en mer. Face à ce type de menaces, les dispositifs armés par les fusiliers marins depuis 2007, comme les EPE, se sont révélés parfaitement efficaces. Ils complètent donc très utilement les autres moyens engagés par la marine. Leur interopérabilité avec ces unités (avions de patrouille maritime, frégates, BPC) est totale.

Equipe de protection embarquée fournie par la Forfusco (PHOTOS : Marine Nationale)

Ces EPE sont-elles toujours constituées de marins de toutes spécialités ?

Majoritairement de fusiliers, mais aussi de marins en provenance d’autres unités, comme celles de la force d’action navale2. Nous faisons en sorte de saisir chaque occasion de partager nos savoir-faire de « combattant » et d’apprendre en retour. Un de nos objectifs est bien de favoriser des relations très étroites avec toutes les composantes de la marine.

Le Commandement des Opérations Spéciales (COS) a permis rapidement après sa création de confirmer l’intérêt de disposer de forces spéciales dans la marine.

Comment ce constat a-t-il évolué ?

Deux événements fondamentaux et récents ont assis la cohérence des unités de commandos Marine: la création du COS il y a maintenant 20 ans, et l’avènement en 2001 de la force maritime des fusiliers marins et commandos en tant que force organique de la marine. Cette cohérence « maritime » est essentielle : elle confirme l’importance de pouvoir mener une action en mer, ou de la mer vers la terre, avec des marins spécialement préparés à ce type d’engagement. Le COS, au-delà des opérations qu’il nous confie, crée les conditions d’une émulation et d’échanges bénéfiques. Par nature, les commandos doivent progresser en permanence. Ainsi, ils observent, comparent, critiquent, essaient… C’est comme ça qu’ils sont éduqués. La remise en cause est au cœur de leurs préoccupations, pour conserver un « coup d’avance ». Le COS a apporté ce quotidien et le cadre de ces échanges multilatéraux, aussi bien pour les équipements que pour les procédures ou les cycles opérationnels. Régulièrement, les opérations permettent de confirmer les bénéfices de cette ouverture et de ce partage.

Palmeurs commandos Marine en reconnaissance de plage (PHOTOS : Marine Nationale)

Peut-on évoquer des innovations à mettre au crédit des commandos Marine ?

Pour certains équipements, comme les drones déployés par le commando Kieffer, c’est souvent le COS qui harmonise les programmes, même si certaines idées peuvent émaner des unités. Dans d’autres cas, comme celui de la cynotechnie, les commandos peuvent trouver des idées chez leurs voisins puis les adapter, et s’inspirer de certaines unités de forces spéciales étrangères, qui emploient des chiens dans de multiples configurations opérationnelles. Les commandos Marine apportent leur plus-value pour des applications maritimes, mais pas seulement. Ils ont une vision différente et le benchmarking est chez eux naturel. Difficile d’en dire plus…

Exfiltration par la technique de la grappe (PHOTOS : Marine Nationale)

Plus personnellement, qu’est-ce qui vous a marqué lors de votre commandement ?

Deux évènements et un constat. Le décès du Maître Jonathan Lefort du commando TREPEL3 et du Maître Benjamin Bourdet du commando JAUBERT, tous deux morts au combat, alors qu’ils faisaient ce pourquoi ils étaient formés, c’est-à-dire des interventions à haut risque, dans les conditions particulièrement exigeantes que peuvent être celles d’un engagement intensif dans le contexte contre-insurrectionnel afghan. A l’occasion du retour en France des groupes de combat des commandos, j’ai mesuré le rôle essentiel du chef dans les situations de paroxysme. Il donne du sens aux événements, qui n’ont pas qu’une réalité tactique ou technique. La manière dont le chef de groupe ou de détachement intervient après un accrochage violent ou un événement difficile est essentielle. Elle détermine la façon dont les membres du groupe se remémoreront leur action, peut-être la façon dont ils se jugeront eux-mêmes. Dans ces moments, la parole joue un rôle considérable. Ce ton juste dans les moments graves, les mots et les attitudes qui rassemblent tout l’équipage autour du sens de l’action, c’est la qualité du commandement. Elle se révèle dans l’épreuve.

Reconnaissance de plage (PHOTOS : Marine Nationale)

Vous attachez une importance évidente au sens de l’engagement. Quelles sont les raisons de vos prises de position sur ce point, notamment dans Le Monde en juillet 2011 ?

J’ai estimé qu’il était intolérable de laisser affirmer par certains de nos concitoyens que l’engagement et la mort de nos camarades ne servaient à rien. Le militaire ne s’engage pas pour servir une cause mais son pays. Raisonnons « par l’absurde » : si la valeur de son sacrifice dépend de la justesse des décisions politiques qui l’ont projeté au combat, alors il faut admettre que le militaire choisisse ses engagements, sélectionne les risques, accepte les uns, utiles selon lui, refuse les autres, qu’il jugerait inutiles. Absurde ! Le statut général des militaires ne reconnait en France qu’une seule exception au devoir d’obéissance : la désobéissance a un ordre illégal. La discipline et le respect scrupuleux du sacrifice du soldat sont les deux faces d’une même pièce. Dans notre France démocratique il y a un temps pour le débat sur les options diplomatiques et militaires, un temps pour la décision politique et un temps pour sa mise en œuvre militaire. Chacun de ces temps a sa gravité et sa noblesse.

Tireur d'élite (PHOTOS : Marine Nationale)

Existe-t-il selon vous une version « commando » de cet engagement ?

Fondamentalement, je ne pense pas. La particularité des commandos Marine, c’est la recherche d’une confrontation à la difficulté et la mise à l’épreuve quasi permanente. Ils commencent par un stage que moins de 20% d’entre eux réussiront et dont l’objectif est de les former pour prendre part aux opérations les plus dangereuses. Ils ont une volonté exceptionnelle, dont l’unique récompense attendue est la mission confiée. Cette ambition est peu commune, c’est celle du risque et de l’épreuve. Le destin des commandos est hors du commun. Ce référentiel exigeant et l’héritage de leurs anciens sont omniprésents – en témoignent le nom des unités de commandos marine4 – mais aussi une remise en cause régulière de leurs compétences, au travers de phases de sélection fréquentes. Ce parcours semé d’embûches affute les combattants et les force à la modestie. Il crée également une camaraderie indispensable.

Saut de commandos Marine à la mer (PHOTOS : Marine Nationale)

De tels profils sont forcément rares. Etes-vous confrontés à des problèmes de recrutement et de fidélisation ?

Pour avoir des commandos Marine, il faut d’abord former des fusiliers marins. Par an, pour 1 250 candidats à cette spécialité, 250 seront fusiliers puis, idéalement, 40 seront commandos. A terme, après plusieurs années d’expérience, 4 volontaires réussiront le cours de nageur de combat. Parfois plus, souvent moins. Former 40 opérateurs commandos Marine par an correspond au besoin. Organiser cette sélection, avec un vivier de candidats finalement assez limité, est un exercice difficile, confié à l’école des fusiliers marins, qui détient un très grand savoir-faire en la matière. Ses instructeurs suivent au quotidien l’avancement des stages et la progression individuelle et collective des stagiaires, de sorte à respecter les standards élevés de formation tout en évitant les risques de sur-sélection ou de contagion. Nos challenges sont donc multiples et délicats : créer les conditions de ce flux de candidats, mais aussi gérer les échecs, qui peuvent être mal vécus au début d’une vie professionnelle. C’est l’un des grands chantiers RH en cours. Les commandants des unités de fusiliers marins sont associés à la préparation des candidats commandos et à la fidélisation de ceux d’entre eux qui font partie des 80%. Des solutions existent : analyse de l’échec et préparation d’une deuxième tentative, mise en place d’un tutorat, participation à des déploiements. En substance, rebondir et briser toute forme de routine.

Une sélection draconnienne (PHOTOS : Marine Nationale)

 


1 : force maritime des fusiliers marins et commandos.

2 : regroupant les bâtiments de la marine nationale.

3 : dont certains éléments ont participé au défilé du 14 juillet dernier au sein du détachement du COS, qui fêtait ainsi ses 20 ans d’existence.

4 : des officiers commandos marine morts au combat, sauf Kieffer fondateur des commandos Marine français, les seuls Français et les premiers à débarquer sur les plages de Normandie à l’aube du 6 juin 1944.

 


La Force maritime des fusiliers marins et commandos

La Force maritime des fusiliers marins et commandos (FORFUSCO) est l’une des quatre grandes composantes organiques de la Marine, aux côtés de la Force d’action navale (bâtiments de guerre), de la Force océanique stratégique (sous-marins) et de l’Aéronautique navale (aéronefs de la Marine). La FORFUSCO rassemble 2 500 personnes réparties au sein de neufs unités de protection, de six commandos, d’un état-major et d’ une base de soutien. Ses missions sont essentiellement la protection des sites sensibles et de bâtiments de la marine, le combat en mer et les opérations spéciales.

 


Les commandos Marine : six unités de forces spéciales

Maîtrisant un socle de capacités communes, chacun des six commandos Marine développe une dominante opérationnelle dont il fait un pôle de compétence.

  • Les commandos Jaubert et Trepel : assaut et contre-terrorisme maritime (assaut en mer, libération d’otages, combat en milieu clos).
  • Le commando De Penfentenyo : renseignement et reconnaissance.
  • Le commando De Montfort : neutralisation à distance et guidage aérien.
  • Le commando Hubert : action sous-marine et contre-terrorisme (commando regroupant les nageurs de combat).
  • Le commando Kieffer : commandement et appui opérationnel (cellule de commandement projetable, cynotechnie de combat, anti-NRBC, drones, guerre électronique).

 

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La revue trimestrielle MARINE & OCÉANS est éditée par la "Société Nouvelle des Éditions Marine et Océans". Elle a pour objectif de sensibiliser le grand public aux principaux enjeux géopolitiques, économiques et environnementaux des mers et des océans. Informer et expliquer sont les maîtres mots des contenus proposés destinés à favoriser la compréhension d’un milieu fragile.   Même si plus de 90% des échanges se font par voies maritimes, les mers et les océans ne sont pas dédiés qu'aux échanges. Les ressources qu'ils recèlent sont à l'origine de nouvelles ambitions et, peut-être demain, de nouvelles confrontations.

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