MOANA NUI, une odyssée à la recherche des savoirs qui peuvent sauver les océans

La flotte de catamarans antiques de MOANA NUI sera ambassadrice des bonnes pratiques de gestion des océans. Crédit Moana Nui.

Par Christophe Mercier

MOANA NUI veut dire « Grand Océan » en polynésien. Ce grand océan, c’est le Pacifique. Immensité bleue, comme en « négatif » de l’autre côté du planisphère – qui est composé majoritairement de terres – le Pacifique est un Océan-symbole, tout comme l’Amazonie est une Forêt-symbole.

Cet océan, je l’ai souvent parcouru, par sauts de puces aériens ou porté par les vagues, en tant que photojournaliste, puis ethno-écologue. Et il m’a livré un de ses secrets : depuis des millénaires, de génération en génération, des femmes et hommes tentent d’y faire survivre — et revivre — l’art de la navigation non-instrumentale. Seulement guidés par la course des étoiles, l’observation des courants, des nuages, ou encore des oiseaux et de la faune marine, les océaniens et polynésiens, descendants de peuples navigateurs d’Asie du Sud-est, ont, par plusieurs vagues, exploré puis habité le Pacifique…

Au début des années 2000, aidé par l’UNESCO, je commençais une grande enquête sur la « renaissance » de cette tradition de navigation ancestrale. Je parcourais alors la Polynésie française, Hawaï, les îles Cook, la Nouvelle Zélande… En immersion totale dans ces cultures du Grand Océan, de rencontres en amitiés indéfectibles avec les derniers « Maître-Navigateurs », à bord des catamarans traditionnels qu’ils essayaient de faire revivre — l’Hokule’a ou le Te Au O Tonga — j’avais enfin compris le sens de ma « quête » et de la contribution qu’elle pouvait apporter face à certains enjeux de notre siècle.

Car si ces « peuples navigateurs » avaient pu naviguer sur des milliers de milles d’océan sans autre aide que les indices naturels qui les entouraient, c’est parce qu’ils connaissaient parfaitement leur environnement et vivaient en parfaite symbiose avec la Nature. La « Navigation Traditionnelle » était en fait la partie émergée de l’Iceberg…

Kimokeo, un des derniers pêcheurs traditionnels hawaiien : “Les détenteurs de savoirs écologiques ancestraux sont de plus en plus rares dans le Pacifique”. Crédit : PVS.

Le Pacifique : là où est née la première « transition écologique » de l’histoire du monde

Entre -50 000 et +1200 de notre ère, plusieurs efforts migratoires donnèrent d’abord lieu à la colonisation de l’Australie et de la Papouasie, regroupés en un sous-continent alors nommé Sahul, en ces temps préhistoriques, et à la faveur de la baisse du niveau des mers.

Puis vers 1500 av J.-C., un peuple navigateur — les Austronésiens — atteignent le Pacifique central : Tonga, Fidji, Samoa. Ces Austronésiens sont aussi bons navigateurs que pêcheurs et chasseurs… Trop bon : en quelques temps, ils surexploitent les terres qu’ils rencontrent et détruisent faune et flore terrestres et marines, bondissant d’île en île dès que la précédente a livré toutes ses ressources. Mais plus l’on s’enfonce dans le Pacifique, et plus les terres sont rares et infertiles… Ainsi, cette « surconsommation » combinée à l’accroissement démographique finira par trouver son point de non-retour, créant des tensions écologiques, sociales et économiques, menant inévitablement à des guerres…

Au bord de l’effondrement, les peuples du Pacifique firent alors un virage saisissant et salutaire vers des pratiques que nous qualifierions aujourd’hui « d’écologiques ». Utilisant à plein leurs connaissances intimes de la Nature, revisitant leurs habitudes, leurs structures sociales et même leur cosmogonie, ils trouvèrent un point d’équilibre presque idéal que purent constater les premiers explorateurs occidentaux, entre le XVIe et le XVIIIe siècles : des populations saines, ne manquant de rien, et empreintes d’un fort respect pour la Nature.

L’Histoire du Pacifique ancien n’est-elle pas à mettre en parallèle avec celle de notre XXIe siècle ? Face à notre possible effondrement, saurons-nous prendre les bonnes décisions, les bons virages ? Adopter les bonnes pratiques ? Ce sont ces défis que l’Odyssée MOANA NUI tentera de relever à son niveau, à la lumière des savoirs et expériences multi-millénaires des peuples du Pacifique.

Le trajet de l’expédition MOANA NUI reprendra globalement les routes migratoires antiques d’Homo Sapiens.

Une Odyssée environnementale pour collecter et diffuser les savoirs écologiques traditionnels

Alors qu’une véritable « révolution écologique » se mettait en place dans le Pacifique ancien, ce furent les grands catamarans traditionnels polynésien qui contribuèrent à la diffusion des nouvelles pratiques environnementales. Les mêmes catamarans qui avaient permis l’exploration puis la colonisation du Pacifique par Homo Sapiens se muèrent alors en « apôtres » des bonnes pratiques. Et ce sont ces grands catamarans traditionnels qu’on appelle « VAKA », que le projet MOANA NUI va faire revivre.

Porteurs d’une symbolique culturelle forte et reconnue dans tout le Pacifique, magnifiant l’esprit d’aventure, de conquête et de progrès durable, les VAKA, ces « merveilles d’art, de technologie et d’écologie » tels que les appelle Stéphane Martin, ancien président du Musée du Quai Branly, vont à nouveau, grâce au projet MOANA NUI, sillonner le Grand Océan.

Et tout comme autrefois, leur rôle sera de collecter et de diffuser dans tout le Pacifique, mais aussi bien au delà, les bonnes pratiques de gestion des espaces océaniques, insulaires et côtiers. Utilisant le bambou et les bois traçables, leur conception se fera au plus près des méthodes de construction antiques. Et, depuis leur site de construction en Indonésie, pris en charge par le célèbre cabinet d’architecture naval VPLP (1), jusqu’en Polynésie française puis Hawaï, et éventuellement vers l’exposition universelle d’Osaka, cette flotte de trois à six VAKA fera revivre une des plus grandes aventures humaines de tous les temps : l’exploration puis la colonisation du Pacifique.

À son bord : des scientifiques, des aventuriers, des personnalités du monde des arts, du sport, des ONG… Sans oublier les détenteurs de savoirs traditionnels qui nous enseigneront leurs techniques, et leurs sagesses. Toute l’expédition sera menée sans instrument, en suivant les indices environnementaux, grâce à la présence de nos maître-navigateurs : Tua Pittman des îles Cook, Larry Raigetal de Micronésie ou encore Tulano Toloa, de Tokelau, au nord des Samoa.

Les migrations des peuples navigateurs océano-polynésiens les menèrent jusqu’en Amérique et même Madagascar.

Une aventure humaine fortement médiatisée

Tout au long de l’expédition, nos équipages en immersion devront retrouver les modes de vie des anciens peuples océano-polynésiens : pêche durable, conservation des aliments, vie et survie en milieu insulaire isolé. Ils devront devenir quasi « aquatiques » comme l’étaient ces explorateurs des premiers âges.

Ainsi, l’aventure humaine et initiatique MOANA NUI sera relayée par une série documentaire à vocation de diffusion internationale, produite par la société Bonne Pioche (Oscar du film documentaire avec « La Marche de l’Empereur »), et peut-être aussi par une fiction long-métrage qui provoqueront une forte poussée médiatique en faveur de la protection des océans.

Puis, les personnalités participantes à l’expérience MOANA NUI seront amenés à devenir de puissants relais de communication des objectifs de défense des mers et océans du globe, tout comme nos parrains d’honneur Yann Artus-Bertrand, Loïck Peyron et Hubert Reeves, qui ont reconnu dans notre projet l’expression de leurs passions et de leurs engagements.

Le maître mot de l’Odyssée MOANA NUI sera : la collaboration, par-delà les continents, les générations, la diversité des cultures et des concepts scientifique, tous ensembles, réunis pour sauver l’Océan, notre bien commun.

Lancés à la redécouverte du Pacifique, nos VAKA seront le lieu d’une vie aventureuse et plus respectueuse de la nature.

Des actions en phase avec les Objectifs de Développement Durable 2030 de l’ONU

L’expédition MOANA NUI aura donc pour vocation de collecter ces savoirs traditionnels qui ont fait leurs preuves, après des millénaires d’essais-erreurs remontant aux temps préhistoriques. Ces savoirs — nommés TEK (Traditional Ecological Knowledge) selon la nomenclature UNESCO — sont, comme tant d’autres, en voie de disparition.

Il s’agira d’identifier les derniers détenteurs de ces savoirs, puis de favoriser leur collaboration avec les scientifiques issus de la sphère « moderne » ou « occidentale », dans un esprit de respect mutuel, afin de faire émerger de véritables protocoles propres à être appliquer non seulement dans le Pacifique, mais aussi au cœur des autres mers et océans du monde.

Les concepts polynésiens de Rahui, c’est-à-dire de jachère d’exploitation, ou encore d’Ahupua’a hawaiien, visant à « découper » une île en unités de gestion écologiques depuis son sommet jusqu’au proche large, en passant par l’observation des phases de la Lune ou des sites de migration et de reproduction des espèces, parmi tant d’autres savoirs traditionnels, peuvent constituer des outils majeurs de la protection des océans.

Le Rahui est lui-même l’ancêtre des « Aires Marines Protégées » dont le projet MOANA NUI souhaite l’expansion et la mise en réseau. Ainsi, la pêche durable, traditionnelle et artisanale, et notamment la gestion « post-harvest », seront promues par MOANA NUI. Toutes ces actions contribueront clairement aux Objectifs de Développement Durable 2030 de l’ONU, notamment son objectif 14, concernant les mers, les océans, et les ressources marines(2).

Dans un but à la fois scientifique et pédagogique, MOANA NUI établira également, sur le chemin de son Odyssée, 3 éco-sites potentiellement en Nouvelle-Calédonie, Fidji et Polynésie française.

Lieux d’échanges sciences/traditions, ces sites seront l’occasion de démontrer l’efficacité des savoirs traditionnels originaux, et seront potentiellement couplés avec des structures hôtelières de type éco-touristique pour en assurer la pérennité.

Il en sera de même pour les VAKA de la flotte MOANA NUI, qui non seulement permettront de faire revivre les cultures du Pacifique en reconstituant leur patrimoine naval antique, mais aussi développeront des activités nature/culture.

Activités pédagogiques sur ces sites et à bords des VAKA, à destination des jeunes, compléteront l’utilité sociétale et environnementale de MOANA NUI.

Avec un début prévu mi-2023, actuellement en levée de fonds, MOANA NUI est porteur de valeurs que pourront s’approprier nos partenaires et soutiens, que nous souhaitons nombreux et engagés dans une démarche de protection de la planète et des océans, pour un avenir plus durable et pour les générations futures.

Les concepts écologiques polynésiens considèrent que les îles et l’océan forment un tout. Crédit : Ben Thouard.

(1) https://www.vplp.fr/

(2) https://unric.org/fr/odd-14/


Christophe Mercier, fondateur du projet MOANA NUI, est journaliste, photographe, réalisateur et ethno-écologue (DEA Muséum National d’Histoire Naturelle et Institut de Recherche pour le Développement – IRD). Il est spécialiste de la renaissance de la navigation polynésienne et des savoirs écologiques traditionnels, qu’il a étudié en mission pour l’UNESCO et à l’occasion de nombreux séjours dans le Pacifique. Ancien chef de projet au sein d’agences d’événements culturels et sportifs, Christophe a travaillé presque 10 ans à l’élaboration du concept MOANA NUI et en assurera sa direction et sa stratégie globale. 

Site Internet : www.moana-nui.org 

 

 

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