Les sénateurs français tirent la sonnette d’alarme sur le format toujours plus réduit de la Marine nationale française

Après six mois d’audition, la commission sénatoriale sur la «maritimisation » constate l’émergence d’«une nouvelle géopolitique des océans » et un renouveau de l’économie maritime. Elle estime que dans un contexte marqué par la montée en puissance des enjeux maritimes, aussi bien en termes de flux que de ressources des fonds sous-marins, la France a une carte à jouer. Pour M. Jeanny Lorgeoux, sénateur (PS) du Loir-et-Cher, co-président du groupe de travail : « Le domaine maritime français de onze millions de km2, réparti sur trois océans, peut être un atout considérable, si nous savons le valoriser et nous donner les moyens de le sécuriser ».

La perspective du Livre blanc, mais surtout les choix budgétaires et donc capacitaires qui devront être effectués dans les prochains mois, imposent de réfléchir sur l’adaptation de notre marine à l’accroissement des activités, des menaces et de la violence en mer. Le rapport constate en effet que si la mer offre de nouvelles opportunités, on y observe aussi une augmentation de la criminalité, des menaces, des trafics illicites, de la piraterie, des risques de conflits territoriaux liés à la convoitise que suscitent les ressources naturelles des fonds sous-marins et une fragilisation croissante de nos voies maritimes d’approvisionnement.

Selon André Trillard, sénateur (UMP) de Loire-Atlantique, co-président du groupe de travail : « Avec un format en nette diminution, des renouvellements repoussés d’année en année, la Marine française semble faire le grand écart ». La France souhaite disposer d’une marine océanique porteuse de la dissuasion nucléaire et capable d’entrer en premier sur un théâtre d’opérations avec un groupement aéronaval, mais aussi d’une marine capable de sécuriser l’ensemble des zones économiques exclusives françaises et pouvant comprendre, prévenir, protéger, projeter, voire intervenir sur l’ensemble des océans de la planète. Le groupe de travail constate que la Marine n’y arrive plus tout à fait et qu’elle y arrivera de moins en moins.

Diminution régulière et globale des capacités de la Marine nationale

L’examen de l’évolution du format, de l’âge des bâtiments, et des taux de disponibilité, montre une diminution globale des capacités de la Marine nationale de l’ordre de 30 % depuis 2000. « Le vieillissement de la flotte conduira dans les prochaines années à des impasses capacitaires majeures notamment dans le domaine des frégates, des patrouilleurs, de la guerre des mines » conclut le rapport sénatorial. En effet, entre 75 et 100 % des équipements doivent être modernisés ou remplacés dans les dix prochaines années. Le groupe de travail de la commission des affaires étrangère, de la défense et des forces armées du Sénat estime donc que la commission du Livre blanc doit prendre la mesure :

1 – des enjeux maritimes, de l’augmentation des risques liés à la croissance du nombre des acteurs et des activités en mer ;

2 – du développement des conflits dans l’océan Indien, en mer de Chine, mais aussi en Méditerranée, liés à la volonté d’appropriation des espaces et des routes maritimes ;

3 – de la place des territoires d’Outre-mer dans la définition de nos intérêts nationaux ;

4 – du risque de déclassement de la France et de l’Europe face à la montée en puissance des marines des pays émergents et de ses conséquences dans le domaine stratégique, diplomatique et industriel ;

5 – de la nécessité d’accélérer la construction d’une défense de l’Europe dans le domaine naval.

Il estime que la crise financière que traverse l’Europe peut être une opportunité pour avancer vers une mutualisation partielle des dépenses navales, une rationalisation des forces, voire une utilisation commune des bâtiments, tout en soulignant que la clef du succès réside dans le partage des visions stratégiques et une définition commune des intérêts vitaux.

Constatant que les missions de la Marine nationale augmentent, alors que ses moyens diminuent, le rapport sénatorial estime que « si le budget de la défense doit naturellement apporter sa contribution à la réduction du déficit des comptes publics, une contribution homothétique de la marine conduirait à accroître encore le décalage entre les enjeux et les moyens. »

Les sénateurs estiment en conséquence que la Marine nationale ne doit pas être la variable d’ajustement du ministère de la Défense parce que le contexte stratégique naval a changé.

Créer de la richesse par le développement de l’économie maritime 

« Pour conjurer la tendance à la diminution des ressources publiques, il nous faut créer de la richesse, retrouver de la croissance » observe M. André Trillard. « L’économie maritime peut y contribuer. Il y a, en France, de nouvelles filières industrielles d’excellence, comme les énergies marines renouvelables, qui peuvent être les emplois de demain ». C’est pourquoi « nous estimons que cette stratégie militaire doit être accompagnée d’une stratégie industrielle de valorisation du secteur maritime » a affirmé M. Jeanny Lorgeoux. Les sénateurs proposent, entre autres, la création d’un commissariat aux énergies marines renouvelables qui puisse fédérer les acteurs publics et privés de ce secteur afin d’accélérer la mise en place de ces nouvelles technologies, comme ce fut le cas, en son temps, pour les énergies nucléaires.

Ils souhaitent le développement des coopérations internationales en faveur d’un modèle maritime international responsable et demandent une démarche active de la France dans la définition de la politique maritime européenne, notamment pour mettre en place une stratégie marine intégrée méditerranéenne et développer, ailleurs, des coopérations régionales autour des territoires d’outre-mer.

 

Marine & Oceans
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