La Caspienne, l’atout maître du Kazakhstan

Neuvième pays le plus étendu au monde, au cœur de l’Asie centrale, le Kazakhstan est une puissance énergétique qui s’impose entre les mondes perse, chinois et russe. Avec, à la clé, la mer Caspienne levier de développement économique incontournable pour le pays. Explications.

Par Matthieu Anquez,

Président d’ARES Stratégie,

Expert en géopolitique et enseignant à l’université

C’est le plus grand pays enclavé au monde, 2,7 millions de kilomètres carrés, situé à 1500 kilomètres de la mer Noire, à 3000 kilomètres de la Méditerranée, et à 3500 kilomètres de l’océan Pacifique. Le Kazakhstan est l’une des nations les plus éloignées de « l’océan global », et pour autant, son enclavement n’est pas synonyme d’isolement : entouré de puissants voisins chinois et russe, ainsi que des autres ex-républiques soviétiques d’Asie centrale et, au-delà, de l’Iran, qui sont autant de menaces que d’opportunités, le pays a réussi à se rendre incontournable sur la scène internationale grâce ses ressources énergétiques et sa position stratégique dans l’Eurasie.

Et si le Kazakhstan a marqué l’Histoire en étant le cœur battant des steppes nomades dont les vagues successives de conquérants ont écrit l’histoire de la Chine, du Moyen-Orient et de l’Europe depuis l’Antiquité jusqu’à l’aube de l’ère moderne, il n’a jamais, bien évidemment, écrit une ligne de l’histoire maritime mondiale.

Mais les choses pourraient changer, car la mer Caspienne – mer «fermée » mais ô combien stratégique – s’apprête à devenir un levier important de la puissance kazakhstanaise. Et le pays s’impose sur ces rivages.

Le Kazakhstan et sa région.

Vagues de réformes au Kazakhstan

Soucieux d’accélérer le développement du pays pour calmer la grogne populaire qui couve depuis les événements de janvier 2022, le gouvernement kazakhstanais est entré depuis dans une succession de réformes politiques, institutionnelles et économiques. Des réformes qui doivent démocratiser le pays et surtout, libéraliser son économie, encore victime des pesanteurs issues du passé soviétique.

Le 29 mars 2023,le Président du Kazakhstan, Kassym-Jomart Tokaïev, annonçait devant le Majilis, la chambre basse, une série de mesures destinées à diversifier le tissu industriel et de la production de son pays, améliorer le climat des affaires et surtout, développer de nouvelles connexions et de nouvelles voies commerciales pour faciliter les flux de marchandises.

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Astana, la capitale du Kazakhstan.

Plusieurs mesures très techniques ont donc été annoncées par Astana, comme une modification du système légal et judiciaire pour sécuriser les entreprises et les investisseurs (une priorité donnée aux PME qui représentent tout de même actuellement le tiers du PIB national soit plus de 70 milliards de dollars) et un démantèlement progressif des grosses structures monopolistiques : des enjeux de diversification de son économie et d’une montée en gamme de sa production pour un pays dont l’économie repose encore largement sur l’exploitation et l’exportation des ressources du sous-sol, en premier lieu le pétrole (douzièmes réserves mondiales), le gaz naturel (vingt-quatrièmes) et le minerai d’uranium (premier producteur mondial d’uranium, et, selon les années, premier ou deuxième fournisseur de la France).

Mais si le Kazakhstan cherche à produire plus et mieux, par où exporter ?

La Caspienne à l’horizon

La mer Caspienne est d’abord une ressource pour le Kazakhstan : le pays dispose des plus importantes réserves de pétrole de la mer Caspienne. Selon le BP Statistical Review of World Energy, celles-ci s’établiraient à environ 30 milliards de barils de pétrole, soit 1,8% des réserves mondiales. Les réserves naturelles de gaz quant à elles représenteraient 2700 milliards de mètres cubes, principalement situées dans le champ de Kashagan, l’un des plus grands champs de pétrole et de gaz offshore du monde, situé dans la partie kazakhe de la mer Caspienne. Une mer qui représente aussi une ressource halieutique importante et peut-être même demain, touristique.

Mais la mer Caspienne est aussi – et surtout – une porte d’entrée et de sortie pour l’économie du Kazakhstan : en novembre 2022, le gouvernement kazakhstanais annonçait sa volonté d’augmenter les exportations de pétrole via la mer Caspienne à 20 millions de tonnes par an. En 2021, le volume de fret transporté par la mer Caspienne entre le Kazakhstan et les autres pays de la région était d’environ 5,5 millions de tonnes, dont environ 70 % étaient des exportations kazakhstanaises. Si une partie plutôt faible des exportations totales du Kazakhstan en 2021 ont transité par la mer Caspienne, c’est parce que le reste transite encore largement par voie terrestre et ferroviaire vers la Chine et vers la Russie.

Mais Astana a exprimé à plusieurs reprises son ambition de diversifier ses partenaires commerciaux et de ne pas dépendre uniquement de ses deux puissants voisins. Le Kazakhstan regarde vers l’ouest, et cela signifie mécaniquement développer son interface logistique le long de ses 1000 kilomètres de rivages de la Caspienne.

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Le Kazakhstan dispose de pétrole, de gaz naturel et d’uranium (premier producteur mondial).

D’importants investissements ont donc été réalisés par Astana et ses principaux partenaires commerciaux, en particulier l’Union européenne. Celle-ci, soucieuse de faciliter son accès aux richesses kazakhstanaises, contribue à développer le Middle Corridor destiné à évacuer les ressources par la Caspienne, le Sud-Caucase (Azerbaïdjan, Géorgie) pour gagner la mer Noire puis la Méditerranée… tout en évitant la Russie et l’Iran. On peut rappeler que les pays de l’Union européenne ont beaucoup investi au Kazakhstan : 160 milliards d’euros depuis l’indépendance et 8 milliards d’euros rien que pour les huit premiers mois de l’année 2022. L’UE a également signé un Accord de partenariat et de coopération avancé (Enhanced Partnership and Cooperation Agreement – EPCA) qui est entré en vigueur en 2020.

Outre les hydrocarbures et l’uranium, le Kazakhstan pourrait être une source d’approvisionnement pour les industries européennes en minerais critiques. En effet, le pays dispose de ressources dans plusieurs des matières premières listées dans la liste Critical Raw Materials établie par l’Union européenne (dernière mise à jour en mars 2023) : cuivre, tungstène, aluminium, magnésium, manganèse, molybdène, titane… Autant de métaux indispensables aux industries stratégiques comme celle du secteur de la défense, de l’électronique ou encore de la transition énergétique.

Le développement des capacités portuaires en mer Caspienne est aussi soutenu par Pékin : depuis 2018, la Chine finance, en partie, la construction d’un port à Kourik, sur la côte kazakhstanaise de la Caspienne, afin de faciliter le transport de ses marchandises entre la Chine et l’Europe. Une infrastructure dont le Kazakhstan pourra aussi bénéficier pour ses propres exportations. La mer Caspienne représente donc un levier de développement économique absolument incontournable pour le Kazakhstan. La défense de ses eaux territoriales et le développement de son espace maritime vont donc devenir stratégiques pour un pays dont l’histoire est largement étrangère au monde marin. Autant d’opportunités pour les partenaires européens du Kazakhstan, que ce soit comme importateurs des ressources locales ou comme investisseurs. Le développement du Middle Corridor, loin d’être achevé, représente également des investissements potentiels, comme dans le secteur de la construction d’infrastructures portuaires multimodales, voire la construction navale.

Matthieu Anquez

Crédits carte : Wikimédia Commons (domaine public).

Crédits photos : Unsplash.

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